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Jean Genet en récidive

Publié le 23 novembre 2010 par Jlk

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Il fut l’un des plus grands (et scandaleux) écrivains français du XXe siècle. Son centenaire suscite une pléthore d’hommages .
Il faut penser à la pauvre tombe de Jean Genet au moment de rappeler sa pauvre naissance, le 19 décembre 1910. Une humble pierre blanche sous le ciel marocain et face à la mer : telle est la sépulture d’un des plus grands écrivains français du XXe siècle, mort en 1986 comme un vieil errant anonyme dans un couloir de ces hôtels sans étoiles où il ne faisait que passer.
Or ce vagabond fut aussi un génial romancier-poète traduit dans le monde entier, un auteur de théâtre non moins célébré, une véritable « icône » de la contre-culture des années 60-80 qui défendit des causes aussi « indéfendables » que celles des Palestiniens, des Black Panthers, ou des terroristes de la bande à Baader. Paria de naissance, il appliqua cependant, à sa conduite publique, une « logique » incompréhensible en termes strictement idéologique ou politiques. Le vrai Genet est ailleurs que dans la défense de telle ou telle cause : son fil rouge, son « âme » relève du sacré plus que du social, ce qui l’anime ressortit à une soif de pureté et d’absolu qui dépasse les engagements contingents.
Moins « martyr » que ne l’a suggéré Sartre, mais certainement « comédien » plus souvent qu’à son tour, Jean Genet mérite une approche sérieuse, mais lucide aussi, dont la meilleure à ce jour reste la biographie monumentale du romancier américain Edmund White.
Quant à l’œuvre, assurément fascinante et paradoxale, elle a fait l’objet d’innombrables études, à commencer par le Saint Genet comédien et martyr de Sartre récemment réédité, entre autres essais, colloques et dossiers, et la célébration du centenaire confine à la pléthore. Puisse-t-on se défendre, cependant, de sanctifier un homme qui ne le demandait sûrement pas, ni de porter aux nues une œuvre, aussi éclatante et variée qu’elle fût, sans en lire vraiment les livres qui la composent.
Pour qui n’aurait rien lu de Jean Genet, rappelons que cinq romans-récits ( Journal du voleur, Miracle de la rose, Notre Dames-des-Fleurs, Pompes funèbres et Querelle de Brest), tous écrits en prison entre 1942 et 1946 par cet autodidacte-voyou, constituent la première œuvre majeure de Genet. Celui-ci, au fil de récits très poétiques jouant sur un mixte d’autobiographie sublimée et de légende dorée canaille peuplée de mauvais garçons, se livre à une sorte de vaste remémoration érotique dans une langue mêlant sordide et sublime. Le culte de l’abjection, un peu comme chez Sade, s’oppose au culte des vertus chrétiennes, avec l0exaltation du vol, de la trahison et de l’homosexualité. Les premières éditions seront d’ailleurs expurgées des passages les plus « hard », dûment rétablis aujourd’hui.
Cette mystique invertie et solipsiste – à l’usage du seul Genet – signale à la fois la vengeance d’un être humilié avec la bénédiction des belles âmes, et la recherche d’un absolu esthétique. Abandonné par sa mère à sept mois, bouclé pendant des années dans un bagne d’enfants, exclu de la norme par sa double nature d’homosexuel et de poète, Genet exorcisa une première fois sa souffrance et son ressentiment dans ce prodigieux jaillissement créateur, auquel succéda une période de désespoir et de stérilité. « J’avais écrit en prison. Une fois libre, j’étais perdu ». Et comme pour y ajouter, la monumentale étude de Sartre, où le philosophe accommodait Genet à la sauce de l’existentialisme, du freudisme et du marxisme, faisait l’impasse sur la complexité dostoïevskienne du monde de Genet, trop intelligemment décortiqué et démystifié.
Or un Genet plus profond et confus, et surtout approché dans ses métamorphoses successives, restait à raconter, comme s’y est employé Edmond White dans la reconstitution de cette vie marginale et souvent fuyante, de la Grande Guerre à l’Occupation, puis de la guerre d’Algérie à Mai 68, à quoi l’écrivain participa non sans scepticisme.
Naissance d’un écrivain
Evitant la psychologie à bon marché, Edmund White s’étend en revanche sur l’environnement social dans lequel Genet a passé ses jeunes années. On y découvre que sa mère nourricière, dans le Morvan, le choya passablement, mais que le statut des « culs de Paris » et autres « metteux de feux », enfants abandonnés mal vus a priori, relevait quasiment de la damnation. Les pages consacrées à la colonie agricole de Mettray, combinant le dressage des adolescents et leur exploitation lucrative en dépit du déclin de cette institution « phare », sont d’autant plus frappantes que Genet, dans Miracle de la rose, tend à magnifier cette « maison de supplices » fermée en 1939. « Paradoxalement, dans l’enfer j’ai été heureux », écrira-t-il ainsi.
De nombreuses autres zones obscures de la vie de Genet s’éclairent, notamment liées à une période de six ans à l’armée où le caporal Genet fit probablement tirer sur des civils, aux voyages innombrables en Europe, à la dèche et aux expédients, et l’on en sait plus désormais sur l’immense travail personnel accompli par le semi-analphabète de 20 ans (ses lettres de l’époque sont poignantes de maladresse mais aussi de géniale fraîcheur) pour acquérir un grand savoir littéraire et philosophique et la maîtrise d’une langue sans pareille.
Un personnage à facettes
Selon les témoignages, Jean Genet pouvait se montrer aussi charmant qu’odieux. Dans ses Lettres à Ibis, une jeune amie idéaliste à qui il se confie entre 1933 et 1934, il donne l’image d’un garçon très sensible et assoiffé de tendresse qui a les « larmes aux yeux de n’être pas Valéry » et s’excuse pour ses « anomalies sentimentales ».
Délinquant plutôt minable (même s’il fut menacé de la relégation à vie, ce ne fut que pour des vols de bricoles et de livres…), il ne s’affranchi jamais pour autant de son état de voyou. Ainsi déroba-t-il un dessin de Matisse à Giacometti, dont il disait pourtant que c’était le seul homme qu’il avait jamais admiré – et le sculpteur laisse d’ailleurs de lui un portrait mythique. Mais le brigand était capable, autant que de vilenies, des attentions les plus délicates, et la plupart de ses amis, qu’il trompa ou « jeta » les uns après les autres, lui vouent une tendresse aussi paradoxale que tout son personnage. C’est que, finalement, l’intransigeance furieuse, la folle susceptibilité, les coups de gueule légendaires de cet homme blessé, à la fois conscient de son génie et doutant de tout, trahissaient la fragilité fondamentale d’un enfant blessé à vie et resté vulnérable, sensible enfin à la détresse des plus mal lotis que lui.
Cohabitant avec l’homme de théâtre extraordinairement doué et avec le moraliste contestataire de haut vol, proche à ce double égard de l’artiste-polémiste Pasolini, il y avait enfin en Jean Genet une espèce d’exilé « à perpète ». De là sa défense des humiliés et des offensés, et plus précisément des Palestiniens qui, disait-il, cesseraient de l’intéresser au jour où ils disposeraient d’une terre à eux. Cela étant, même devenu mondialement connu et souvent « récupéré » à son corps défendant, Jean Genet a fui jusqu’au bout toute forme d’acclimatation et continua de mener sa vie de vagabond errant d’un hôtel sans étoiles à l’autre, distribuant ses biens à ses amants et amis, pauvre parmi les pauvres et reposant désormais sous la plus humble pierre blanche du bout du monde, face au ciel et à la mer.
Image: Jean Genet en 1939.
Pour lire Jean Genet
Jean Genet. Journal du voleur, Querelle de Brest, Pompes funèbres. Préface de Philippe Sollers. Gallimard, coll. Biblos 788p.
Jean Genet, Miracle de la rose. Version non expurgée. L’Arbalète, 347p.
Jean Genet. Lettres à Ibis. Gallimard, L’Arbalète 2010, 109p.
Jean Genet. Le condamné à mort. Nouvel enregistrement, combinant chant et récitation, d'Etienne Daho et Jeanne Moreau.
Edmund White. Jean Genet. Avec une chronologie biographique référentielle d’Albert Dichy. Biographies-Gallimard, 1993. 685p.
Jean-Paul Sartre. Saint Genet, comédien et martyr. Gallimard 2010, coll tel, 695p.
Le numéro de décembre du Magazine littéraire sera consacré à Jean Genet.
Site des Amis et Lecteurs de Jean Genet. http://jeangenet.pbworks.com/

Image: Jean Genet en 1939. Photo inédite, de la collection Jacques Plainemaison.


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