Magazine Nouvelles

Vincent

Publié le 17 décembre 2010 par Banalalban

Qu'importe les flocons pourvu qu'on ait la livrée.

C'est avec ça qu'on l'a enterré. Enfin je veux dire, c'est ce que l'on a écrit sur sa tombe. Enfin la pierre quoi. On appelle ça épigraphe. C'est ce que l'on m'a dit. C'est ce que j'ai retenu parce que j'ai pas beaucoup de culture. Mon père travaillait aux abattoirs de Paris et j'ai arrêté l'école à quatorze ans. J'ai travaillé aux abattoirs de Paris à quinze. Et pis après ça a été un peu la merde et j'ai arrêté de travaillé aux abattoirs de Paris et aux abattoirs tout court.

Vincent en savait vachement beaucoup. Et pis dix-mille balles de côté qu'il avait. Moi j'aurais pas dit. Personne savait.

Qu'importe les flocons pourvu qu'on ait la livrée.

C'était une phrase qu'il disait souvent et qu'il aimait bien pour se moquer des gens qui ne lui donnaient jamais rien et qui puaient l'argent à plein nez. Il disait "Livrééééée" en tirant si bien sur le "é" qu'on aurait dit qu'il avait une tasse de thé dans les mains, une cheminée qui chauffe bien à côté et un joli chien, un de ceux avec un long museau et de longs poils. Il disait "Livrééééééée" et nous on rigolait.

dormait comme nous aut' à même le trottoir sur les bouches de métro qui soufflent de l'air chaud.

Le plus souvent à Châtelet qu'on aurait dit des grappes. Parfois, on le faisait pas exprès, mais on faisait comme s'organiser, du plus petit au plus grand. Comme ça. Et ça nous faisait bien marrer l'été.

L'hiver, ça floconnait sur nous tout partout que ça s'infiltrait même dans nos culottes qui devenaient toutes gluantes : nous on rentrait dans le métro mais pas lui. Le Vincent y restait sur sa bouche. Et le lendemain on le récupérait en gros tas de neige et puis juste comme ça, il s'ébrouait comme un vieux corniaud et toute la neige tombait en motte. 

Et il faisait comme si de rien n'était. 

J'ai jamais su comment il faisait pour résister à ça.

Qu'importe les flocons pourvu qu'on ait la livrée.

Il trainait souvent avec la petite vieille des Abesses. C'est deux-là, y z'étaient inséparables. Le Vincent y disait qu'elle connaissait plein de trucs mais franchement, il en savait vachement aussi. Elle, elle disait "Vous ne savez rien à rien" puis rajoutait : "Restez dans l'ignorance, tout cela vaut tellement mieux" et lui il opimait. Il opimait tout le temps quand la vieille disait ce genre de choses et nous on le lui faisait remarquer. "Tu opimes tout le temps quand la vioc elle parle" et lui il répondait : "C'est qu'elle en sait beaucoup de choses vraiment la vieille" et, comme une nana friquée passait, il lançait : 


Qu'importe les flocons pourvu qu'on ait la livrée.

Et pis il avait dix-mille balles de côté, et ça non plus on le savait pas.

Du coup, ça lui a payé une belle sépulture. Pas une super clinquante, mais une jolie, de celles que les oiseaux y z'aiment bien à se poser dessus.

Les oiseaux, c'est pas juste des cons pour faire joli. Les oiseaux, ça réfléchit. 

Maintenant tous les cons bien sapés et plein d'argent quand ils étaient encore vivants qui sont enterrés à côté du Vincent, bin y z'ont pas d'oiseaux et y z'envient la tombe au Vincent je suis sûr, la tombe au Vincent avec sa jolie épigraphe.


Qu'importe les flocons pourvu qu'on ait la livrée.

Vincent n'était pas sale. Nous ne sommes pas vraiment sales. Mais nous sommes juste assez sales pour que les gens disent : "Tiens, ils sont sales".

Quand tu es un saint et que tu es sale, alors les gens comprennent et ils disent : "Ils sont sales ces saints, tu te rends compte jusqu'où ils vont ?" ou bien : "Ils sont sales ces saints, tu te rends compte de leur sens de l'abnégation" et alors les gens leur construisent des églises et leur gravent des plaques de marbre qu'on appelle ex-photo à l'aide d'un tout petit marteau et ils pleurent pour dire merci.

Qu'importe les flocons pourvu qu'on ait la livrée.

J'ai habité à Dardilly quand j'étais vraiment petit avant Paris, les abattoirs et les bouches de métro. Je m'y connais en saints : j'en ai mangé du Curé D'Ars... Le Curé d'Ars n'a, que je sache, jamais été sale... Le Curé d'Ars il a juste un jour fait un miracle avec du blé et un jour il est mort et on lui a construit tout un tas d'églises. Je suis certain que si nous portions des soutanes de curé, les gens trouveraient toujours le moyen de dire "Tiens, ils portent des soutanes de curé, ces sales"...

Le Vincent lui, y s'en foutait pas mal des gens bien habillés et des Curés d'Ars.

En même temps, il pouvait bien s'en foutre avec ses dix-mille balles de côté.

Il savait depuis le début qu'il aurait une plus belle tombe qu'eux.


Les oiseaux maintenant ne se posent pas sur les tombes des gens qui z'ont été riches. J'espère juste qu'ils chient un peu dessus quand même. Et le Vincent pourra dire : "Tiens, maintenant c'est vous qu'êtes sales", et s'endormir dans des draps de soie, des draps rouges, très doux, très propres, très chauds...


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossier Paperblog

Magazines