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Danièle

Publié le 27 décembre 2010 par Banalalban

Je n’arrive pas à résoudre le geste dans l'écrit

Si je prends ce geste.

Là.

Celui que je fais.

Je suis Danièle, je fais ce geste, Danièle qui écrit fait ce geste.

Ce geste là.

Puis ensuite, je tente de l'écrire.

J'oublie deux secondes l'action pour le décrire.

Le geste écrit.

Comme ça, ça a l'air simple.

Un geste.

Je ne sais même pas en quelle mesure le geste écrit existe. S’il existe, existe-t-il en dehors de ma tête et de l’imagination d’où il sort ? Dois-je l’écrire ailleurs que le penser ? Comment pourrais-je le penser sans l’imaginer ? Sans y goûter, une saveur a-t-elle un sens ?

                    Ce geste est simple. C’est le plus simple qui soit. Un nouveau-né peut le réaliser. Un singe le peut aussi. Parce qu’il a ce même pouce opposable. Peut-être qu’il faudrait que je demande à un orang-outang de m’aider un peu là-dessus. Il ferait en sorte que je me sente moins seule avec ma couronne.

Ce geste n’a pas besoin d’être conceptualisé. Il faut juste qu’il garde la tête haute dans sa simple définition de geste. Il n’a pas à être rêvé : on n’attend rien de lui que d'être écrit. Il est geste, point. Il ne nécessite aucun affect. On n’attend pas d’un objet qu’il évoque forcément quelque chose : ce stylo par exemple, est posé sur la table. Je n’en disserte aucune épopée. Bien sûr, il peut remémorer l’écriture, l’école, l’encre mais ce n’est jamais qu’un (putain) de stylo sur une table. Parfois, je passe devant, et je ne me dis rien d'intéressant dessus.

Il devrait en être de même pour ce geste. J'aimerais le décrire en tant que geste et rien d'autre. Le geste pour le geste.

Pas l'évocation ni l'émotion qu'il exprime.

Il peut être effectué sous diverses formes : avec férocité, méchanceté, douceur, chaleur, ennuie, envie, paresse, tendresse, amitié, alacrité... Ce n'est pas ça que je veux exprimer. Comme par exemple, le mot "alacrité". Dans d'autres textes, ce mot passerait inaperçu, alors qu'ici, tout à coup, il jure. Il crée une émotion à laquelle je n'avais pas pensé ou tout du moins une émotion que je ne voulais pas faire naître. Celle suscité par un mot qui n'a pas vraiment sa place car soutenu. J'ai juste utilisé le mot alacrité pour ce qu'il est : alacrité. (lire "point").

Mais tout à coup j'en ai fait autre chose en lui dévouant un contexte qu'il n'aurait pas dû avoir.

C'est très précisément ce que je veux éviter à mon geste.

Le Corpus Delicti.

Ce geste se décompose comme suit :

   L’auriculaire se ferme sur la paume.

   Puis :

   L’annulaire se ferme sur la paume.

   Puis :

   Le majeur se ferme sur la paume.

   Puis :

   L’index se ferme sur la paume.

   Puis :

   Le pouce se ferme sur l’index.

   Le tout finit en sorte de poing.

   Et là encore, dans sa description simple, je ne puis être satisfaite.

Car c'est très chirurgical.

  

   Aussi vrai que le fait d'écrire : "je ne puis être satisfaite" qui est très pédant tout à coup...

Je pourrais dire : "fermer sa main". Mais il existe dix mille façons de fermer sa main et c'est ce geste très particulier que je veux écrire. Sans aucune connotation. Je veux appréhender ce geste. Le saisir dans sa dimension de geste.

Le saisir dans main donc l'auriculaire se fermerait sur la paume puis l'annulaire se fermerait sur la paume puis le majeur se fermerait sur la paume... (on a compris, ici je fais du zèle...).

              Il y a l’image de l’écrit et ce que l’on en fait. L’émotion qui en découle. Ce geste n’est pourtant qu’un geste et je n’arrive pas à le restituer dans sa simplicité de geste. À le résoudre. Il évoque, forcément.

 Et ça m'énerve. 

Parfois un geste écrit a besoin d'évoquer et pour le coup, je ne dit rien : le geste écrit fait ce qu'il a à faire et c'est très bien. Je suis contente. Lalala je gambade nue dans la forêt hyper satisfaite.

   Pourtant, s'il crée l'émotion, le mouvement n’est jamais qu’un mouvement. C’est sa définition. Personne ne fait grand cas des rotations des aiguilles. Si j’écris : « les aiguilles de l’horloge au mur tournent », ça va. On a l’idée. On se fout de ce que ça évoque… Quoique… Si j’écris : « les aiguilles de l’horloge au mur tournent », on pense « ennui » ou « attente » même « peur » et j'en reviens à mon idée du stylo : je tourne en rond et je me fais des cheveux blancs.

En plus je suis en train de perdre tout le monde dans ma démonstration.

Écrire, c'est évoquer.

Même l'anodin évoque dans l'écriture.

Si j'écrivais en utilisant des alinéas aléatoire, on pourrait se demander ce qu'évoque cette typographie particulière.

C'est la même chose.

  Par rapport au geste, tout n'est que mouvement d'espace, pas d'évocation.

Il reste en effet un déplacement dans l’air : tout le monde se contrefout de savoir ce que le mouvement a fait à ce dernier, s’il s’est senti agressé, choqué, s'il a pleuré ou s'il s'est plaint à sa mémé. L’action reste l’action : l’espace qui bouge tout autour n’en souffre pas. L'air a beau tanguer un instant, se déplacer : rien n’y fait : ce geste est. (lire "ce geste est. Point"). Ce n’est pas la réaction, contrepartie physique du mouvement qui le définit. Ni même la résistance de l’air. Soit : tout mouvement impose à l’air _ je le sais parce que j'ai été une étudiante assidue _ du fait de ses propriétés physiques, une résistance équivalente et de sens inverse à l’action en force qu’il instaure. L’air nécessaire au poids du mouvement, sa réaction face à ce déplacement et du coup on écrit sur le geste en prenant en compte la réaction.

J'aimerais me passer de ça. 

Mais intrinsèquement, la réaction est en quelque sorte dans les mots :

L’auriculaire se ferme sur la paume.

   Puis :

   L’annulaire se ferme sur la paume.

  Puis :

  Le majeur se ferme sur la paume.

            Puis :

                               L’index se ferme sur la paume.

   Pui:

  Le pouce se ferme sur l’index.

                                                  Le tout finit en poing.

Et même si je retirais les alinéas, il y aurait quelque chose dans cette description que je ne pourrai maîtriser.

Ce geste est une Marie de silence.

   Précise.

Je ne m'en sortirai jamais.

                                                                        Le théâtre peut-être...


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