Magazine Journal intime

Scènes de la rue quotidienne

Publié le 18 janvier 2008 par Anaïs Valente
En rue.  Il est blanc, il est gros il est ballonné, il a une tête de bonhomme Michelin.  Mais c’est le bonhomme Michelin.  Je n’ai pourtant pas bu.  C’est bel et bien lui.  Le bonhomme Michelin qui se balade dans le piétonnier de ma ville.  Emotions.  Afflux de souvenirs dans ma tête.  Le bonhomme Michelin c’est toute mon enfance.  Un rituel.  Aller voir le bonhomme Michelin qui gonflait, dégonflait, regonflait et redégonflait, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.  J’aime le bonhomme Michelin.  J’ai la larme à l’œil.
Il est violent.  Je le vois à travers la vitre du bus, arrêté par la scène, qui se déroule à même la bande de circulation.  Son nez est en sang.  J’ignore ce qui s’est passé avant, mais je vois ce qu’il se passe là, à l’instant.  Il veut frapper.  Il est en furie.  Il est petit et il s’attaque à un homme barraqué.  La violence entraîne la violence.   On sent la peur.  Les femmes autour s’interposent, en vain.  Il veut frapper.  Il est en furie.  Ne parvenant pas à atteindre son adversaire qui fait deux têtes de plus, il se rue sur quelque chose.  Je ne vois pas quoi.  On dirait qu’il lance un objet.  Une jeune fille s’écarte, terrorisée.  J’ai la larme à l’œil.
A l’intérieur du bus, les passagers sont stupéfaits.  Silencieux.  Une seule s’agite, bouge, regarde et pousse de petits cris de biche apeurée.  « Mon dieu mon dieu ».  Une maman et sa fillette, superbes toutes les deux, observent, apeurées elles aussi.  Dans un geste protecteur, la mère pose délicatement sa main sur le visage de la petite, comme pour l’empêcher de regarder, en douceur.  D’une voix tendre elle lui demande « ça va ? ».  « ça va », répond-elle d’une toute petite voix. J’ai la larme à l’œil.
Toujours dans le bus, deux femmes discutent « il revient souvent en Belgique, c’est extraordinaire d’être ainsi attaché à ses racines, il revient voir sa maman aussi, mais il adore son pays ».  Qui que quoi dont où.  No idea.  Troublant.
En rue, à nouveau, il tente de distribuer ses tracts.  Une sombre histoire de mur en Palestine.  Personne ne l’écoute.  Personne ne le regarde.  Personne ne lui répond.  Inlassablement, il continue, il répète, passant après passant, son discours.  Flash-back.  Je vends mes Pralinettes, pour la bonne cause.  Personne ne me regarde.  Personne ne me répond.  Personne ne m’écoute.  Cette sensation de n’être rien, de déranger, de faire peur, quasiment.  Et les excuses que j’entends : « j’ai une crise de foie, j’ai du diabète, je viens de commencer un régime, pas le temps, pas l’envie, plus d’argent, moi pas parler la France ».  Dur moment.  Sentiment d’intense solitude.  Promis, la prochaine fois qu’on me tendra un tract sur le mur de la Palestine, les estropiés des îles Fidji ou le sort des crabes célibataires d’Amérique du Sud, je le prendrai et je sourirai.
En rue, encore, une femme enceinte.  Très enceinte.  Vraiment très enceinte.  Elle marche d’un pas de crabe.  Tente de se pencher.  Un lacet défait ?  Une démangeaison soudaine ?  Le geste est lent, lourd.  J’ai mal pour elle.
En rue, enfin, des bribes de conversations arrivent jusqu’à moi.  Un homme : « Extrêmement précise ».  C’est rapide, bref, tant son pas est vif.  Une jeune femme au pantalon rouge « j’ai revu des collègues, des colocs, je retrouve un équilibre ».  
Deux amies.  « A part ça, quoi de neuf ? ».  « Rien, juste ça ».  Elle baisse les yeux sur son ventre rebondi.  Un petit être ou de l’aérophagie ?  Je ne le saurai jamais.
Derrière moi « Mais fais attention enfin.  Tu ne vois pas les voitures ou quoi ? »  Je me retourne, afin de voir cet enfant qui se fait réprimander.  En fait d’enfant, un chien.  Un chien.
Petits bouts de vies qui traversent la mienne.

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