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L'incroyable destin de Clarisse Manzon(8)

Publié le 04 janvier 2011 par Mazet

 

Episode n°8 : L'arrestation de Bastide

Nous ne nous attardâmes pas dans la taverne de Rose. Il était inutile de donner l'occasion à tout Rodez de bruisser un peu plus. Le libraire était de plus en plus accablé. Le docteur Audouy ne l'était pas moins. Comme nous retournions sur le chemin conduisant au bord de l'Aveyron, je me tournai vers Monsieur Carrère.

- Que pensez-vous des propos de Madame Rose?

- Juste des mots pour se rendre intéressante!

Le docteur intervint.

- Certes, mais il nous faut être prudent. Jusqu'à présent on a enfermé des petites gens et des pauvres bougres. On vit encore une période où les règlements de compte ne sont pas terminés.

Nous marchions encore le long du boulevard de l'Estourmel, quand nous croisâmes une troupe de gendarmes. Un homme enchainé était tenu entre deux cavaliers. Il n'avait pas l'air décidé à se laisser conduire à l'abattoir comme un mouton. Le docteur Audouy pâlit.

- Oh non, pas lui !

Je tournais vers mes deux compagnons un regard interrogateur.

- C'est Charles Bastide-Gramont, le filleul de Maitre Fualdès.

Blaise Carrère se précipita vers le chef de l'escadron.

- Où l'emmenez-vous?

- Rejoindre ses complices, ordre du juge Teulat.

Rapidement, une foule haineuse s'était agglutinée, au milieu de laquelle la petite troupe avançait avec difficultés. Les quelques années passées loin de France, la camaraderie qui généralement unissait les soldats, m'avaient fait oublier ce que nos provinces pouvaient contenir de haine ancestrale. Charles Bastide-Gramont faisait bien des envieux dans le Rouergue. Au milieu des nobles désargentés, des bourgeois étriqués ou des petites gens condamnés aux travaux plus rudes, tout semblait lui sourire. Homme de belle carrure, beau visage, il portait fière allure et il passait pour fameux trousseur de cotillons. Pour l'heure, il était l'amant d'une jeune couturière, Charlotte Arlabosse. Homme aisé, estimé de son entourage, heureux en amour, c'était trop pour un Rouergue où le labeur et le renoncement étaient le prix de la survie. Ses ennuis n'apparaissaient que comme la contre-partie de son arrogance, personne n'allait le plaindre et encore moins le défendre.

Certes, Bastide-Gramont n'avait pas toujours bon caractère. Il avait son franc-parler et savait parfois montrer de la morgue aux faibles. De la foule ennivrée par l'évènement commençaient à jaillir des cris de haine.

- A mort, salaud!

Une mégère munie de son battoir parvint à se faufiler entre deux gendarmes et commençait à frapper le colosse.

- Tiens, c'est moins que ce que tu as fais subir à ton parrain.

Un peu interloqué, je me tourne vers mes deux compagnons.

- Son parrain?

C'est Monsieur Carrère qui répond.

- Ils étaient de parentèle!

- Mais aurait-il eu de bonned raisons pour commanditer cet acte inique.

- Je n'en connais pas, ils étaient les meilleurs amis du monde.

La nuit tombait sur Rodez. Le docteur Audouy nous abandonna. Nous étions sur le point de rentrer à la librairie, lorsqu'un nouvel esclandre nous fit rebrousser chemin. C'était encore de la rue des Hebdomadiers que provenait le brouhaha. Des officiers hurlaient des ordres. Entre deux haies de gendarmes, trois hommes et une femme se débattaient.

- Vous les connaissez ?

Se hissant sur la pointe des pieds, pour tenter de distinguer dans le crépuscule naissant les personnages qui composaient la petite troupe, Monsieur Blaise répondit.

- Il me semble que j'aperçois Anne Benoit, Missonier, un dénommé Bach et un homme dont le visage m'est inconnu.

Rose Féral, qui n'avait pas perdu une miette de la scène, donna la réponse.

- C'est un nommé Bousquier, il paraît qu'il a été percepteur mais qu'il s'est fait prendre à filouter avec l'argent de nos impôts.

Le convoi parti, Monsieur Carrère me proposa d'aller nous mettre au chaud et de m'en dire plus sur ces personnages. Nous nous installâmes dans deux confortables fauteuils, face au feu de cheminée que la gouvernante avait savamment entretenu. Une douce chaleur nous envahit. Le libraire avait l'air bouleversé.

- Je ne comprends plus rien à cette affaire. Bientôt la moitié de Rodez va faire partie du complot.

- Qui est la fameuse Anne Benoit?

- Je ne sais pas quel rôle, elle a joué là-dedans, elle est la maitresse de Collard. Ils vivaient tous les deux dans la maison Bancal, dans la pièce au-dessus de laquelle ce pauvre Fualdès se serait fait trucider.

- Missonier?

- C'est l'idiot du village, il ne sait pas distinguer sa droite, de sa gauche. A part les plus basses besognes, personne n'a jamais pu lui confier un quelconque travail. S'il a participé au crime, son geste mérite plus l'asile que le bagne.

- Et les autres?

- Je ne connais que Bach, enfin de nom. Il paraît qu'il est voiturier.

Sept heures du soir approchait. Le souper nous attendait. Je pris brusquement une décision.

- Mangez sans moi, Monsieur Blaise. Je vais m'offrir un tour de Rodez en solitaire.


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