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Au soleil de Stendhal

Publié le 06 janvier 2011 par Jlk

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Alors que paraît le monumental Journal de Beyle en poche, Philippe Sollers détaille son Trésor d’amour.
« Que du bonheur ! » pourrait-on s’exclamer, avec un grain de sel, en lisant Trésor d’amour, le dernier « roman» de Philippe Sollers. De fait, l’expression par excellence de la niaiserie « positive » actuelle est propre à susciter la morgue railleuse du plus somptueusement rutilant des paons de la volière littéraire française, dont la spécialité est le bonheur, justement : son bonheur à nul autre pareil !
Être heureux à Venise et ne pas mourir, caresser une jeune Minna Viscontini d’une main et feuilleter de l’autres les Œuvres de Stendhal, à commencer par le mythique Journal qui vient d’être réédité en poche avec une préface de l’italianiste Dominique Fernandez : tel sera le bonheur de Trésor d’amour.
« Je pourrais faire un ouvrage qui ne plairait qu’à moi et qui serait reconnu beau en 2000 », prophétisait le jeune Henri Beyle, 21 ans, le 31 décembre 1804. Vingt ans plus tard seulement, le même H.B., alias Visconti, alias Crocodile ou Cornichon, entre autres pseudos rigolos, qui resterait à peu près ignoré de son vivant (sauf de Balzac), proclamait le 29 décembre 1823 The Day of Genius au moment d’entreprendre la composition de son traité De l’amour, dont il vendrait une vingtaine d’exemplaires en une décennie, ainsi que le précise Sollers dans son «roman» à lui.
Philippe Sollers voit justement un «roman» fabuleux dans la Journal de Stendhal, extraordinaire jeune homme courant de champs de bataille napoléoniens en salons où il déclame par cœur tout le théâtre à la mode, d’Italie aux « maisons » de jeu ou de passe parisiennes, détestant son Chérubin de père et se consolant de la perte prématurée d’Henriette (sa mère qui lui fut arrachée à ses sept ans) auprès de successives amantes ou amies. Or, après les «romans» de Rimbaud, de Mozart, de Fragonard ou de Picasso, de Casanova ou de Nietzsche, Sollers endosse celui de Stendhal avec autant de brio que de pertinence, relevant l’importance de tel texte méconnu (Les Privilèges) et ne manquant pas non plus de tout ramener au nouveau Stendhal du XXIe siècle combien haïssable, à savoir: himself (lui-même à l’anglaise).
« La subversion, note Sollers, est aujourd’hui dans le retrait, le goût, les détails. Retour inattendu de Stendhal et des happy few, contradiction avec la porcherie ambiante ». Et de rappeler la formule cryptée des manuscrits de Beyle : SFCDT, Se Foutre Complètement De Tout, après quoi seulement on peut s’occuper du détail des choses, avec amour s’il vous plaît.
Rien évidemment de « l’amour-sirop, l’amour blabla qui mérite qu’on ait dit de lui qu’il était l’infini à la portée des caniches ». Mais la liaison légère avec Minna la Vénitienne, et l’amour de Venise, de la lumière de Venise et de la « goutte bleue » de l’encre heureuse : « Neuf coup au clocher des Gesuati, là-bas, pour dire l’heure. Dîner de friture de poissons avec bouteille de bordeaux. Encore quelques lignes à la main, et puis sommeil, et puis soleil, et puis bonheur »…
Philippe Sollers, Trésor d’amour. Gallimard, 213p.
Stendhal. Journal. Edition Martineau révisée par Xavier Bourdenet. Préface de Dominique Fernandez. Gallimard, Poche Folio, 1263p.


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