Magazine Journal intime

Oui, tiens, indignons-nous

Publié le 08 janvier 2011 par Chez
Oh la belle nouveauté. Oh, le bel objet. Oh, la belle bleue.
Un vieux monsieur de 93 ans, jusqu'ici bien moins médiatisé, au hasard, que le grand Raymond Aubrac, participe à une jolie réunion sur le plateau des Glières, sali par la présence du chef de l'Etat (c). Il y rencontre une éditrice. Ils décident de publier un livre. Quelques mois plus tard, "Indignez-vous!" est un succès de librairie.
Et les grands médias, qui n'ont rien de mieux à faire, saluent, avant la dinde au marron, cette "success story" (qui n'en est pas une - Hessel se contrefout de son succès, même s'il avoue en être très content, et son éditrice n'est pas du genre de maisons à faire des "coups éditoriaux.")
Le gras de la dinde évacué, le champagne ou le rhum une fois éventé, la machine médiatique fait machine-arrière
On sonne à présent haro sur le baudet. "Courbe-toi, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré."
Quoi de neuf? Les grands médias nous ont habitué à ce qu'il faut bien appeler un cirque. Il faut, désormais, "se payer" Hessel. Se le payer gentiment, bien sûr, c'est un vieux monsieur et sa trajectoire politique et intellectuelle ne peut que lui valoir le plus grand respect.
Sur Slate.fr, Eric Le Boucher stigmatise un discours taillé à la serpette, notamment sur le plan économique :
«L’actuelle dictature internationale des marchés financiers menace la paix et la démocratie». Mais où Hessel a-t-il vu cela? On peut critiquer les marchés financiers et penser d’eux pis que pendre mais nous n’en sommes plus à l’heure du Chili et des complots d’United Fruits et de  la CIA. Justement! Les marchés financiers cherchent d’abord, en général, la sécurité donc la paix et le respect des droits des investisseurs donc la démocratie.N'en sommes-nous plus à l'époque United Fruit? Amusant. Ironique, surtout. Où étaient les tenants de cette vision du coup d'Etat chilien de 1973, quand il eut lieu? Au sein de la presse économique, dont M. Le Boucher est issu? Certainement pas. On les trouvait à gauche. Et les "grands capitaines d'industrie" (rires enregistrés), la droite réactionnaire haussait les épaules, en moquant la paranoïa habituelle des excités guévaristo-marxistes et leur anti-américanisme primaire. Gageons que dans 40 ans, leurs successeurs viendront nous dire : nous n'en sommes plus à l'époque de Total en Birmanie, des grands lobbys de l'armement qui ont voulu la guerre en Irak, on en passe, et des meilleures. Les marchés, s'ils sont quelqu'un et donc pourvu d'une volonté, cherchent la rentabilité. Peu importe le prix à payer, si ce sont les autres qui le paient.Mais depuis cet article, c'est l'hallali, la curée. Sans doute peiné des réactions négatives à son article, M. Le Boucher nous en donne un autre à lire.  D'autres, comme Rue 89 en dresse la liste, lui emboitent le pas, sur des thématiques diverses.

J'ai lu avec plaisir le livre de M. Hessel. il ne prétend pas donner des clés, encore moins offrir de solution. C'est un long article, au fond, l'indignation polie d'un homme qui se présente partout pour ce qu'il est, un social-démocrate. Stéphane Hessel n'a pas le couteau entre les dents. Stéphane Hessel n'appelle pas au grand soir. Stéphane Hessel se contente de rappeler ce que fut le socle admirable mis en place par le CNR en 1943 et dont bon nombre de personne se plaisent à le trouver gentiment daté. 

C'est oublier que ceux qui combattent ce modèle, voudraient bien voir l'intégralité de la sphère publique passer au privé, et qui, mais c'est un hasard, tiennent pour la plupart les râteaux des grands médias, sont sans doute les derniers marxistes - car bon nombre d'entre eux ont lu Marx, sont comme lui persuadés que la lutte des classes existe et sont prêt à tout pour faire en sorte que leur classe, celle des possédants, la gagne. Que ces gens, dont le crédo est celui du marché ont comme bon apôtre Adam Smith, dont on ne peut pas précisément affirmer qu'il est le perdreau de l'année. Ni même du siècle.Oui, certains intérêts ne doivent pas être aux mains des grands oligarques. Oui, il est scandaleux que la majorité des journaux soient aujourd'hui aux mains des grands groupes industriels. Oui, il est scandaleux que la politique de la France, comme ne le voulait pas le grand lider Maximo de Gaullevara," se fasse à la corbeille (de la bourse) ou en accord avec la politique d'une Europe qui ne représente plus les peuples.

Europe : Gabin visionnaire?
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Le livre de Stéphane Hessel mérite-t-il une telle attention? Je l'ai lu avec plaisir. C'est une piqûre de rappel, une aimable dissertation. Qui n'a sans doute comme seule prétention que de conseiller à ses lecteur de ne pas céder à la désespérance, au "c'est comme ça, on n'y peut rien" que nous servent les médias, mais aussi, à leur suite,  les amis, les cousins, les parents, les beaux-frères à table ou au bar du coin. On s'interroge alors: pourquoi ces journalistes qui l'ont lu avec attention, n'en profitent-ils pas pour se révolter, ne serait-ce que dans leur sphère propre ? Contre le poids des grands groupes financiers dans la presse? Contre la hiérarchisation imposée des informations (car l'information se fabrique) qui fait ouvrir, deux semaines durant, les journaux télévisés et radio par cette nouvelle incroyable : il neige en décembre? Contre la précarisation grandissante des journalistes, les piges payées au lance-pierre, le taux de syndicalisation bas et la rapport patronat-salariés déséquilibré qui en découle? Contre la présence des rédacteurs en chefs de grands médias au dîner du siècle? Contre la fabrique générale d'abrutissement des masses dont la presse française se rend quotidiennement ou hebdomadairement complice?
Voila des actes d'indignation qui me semblent plus pertinents que celui consistant à reprocher à un homme de 93 ans de ne plus guère être dans le coup et un peu dépassé par la société et la marche du monde. Un monde qui, manifestement, à en croire ces éditorialistes, ressemble fort à celui de M. Pangloss, où tout va pour le mieux. un monde implacable, contre lequel on ne peut rien, bien sûr.Comment ne pas être préoccupé lorsqu'un social-démocrate devient l'emblème médiatique d'une révolte? ne l'entendez-vous pas, comme moi, gronder? ne trouvez-vous pas étonnant qu'il faille un tel homme pour l'exposer à la face du monde, sans plan de communication, sans cinquantenaire, sans rien?Stéphane Hessel et son livre sont à coup sûr critiquable. Mais en nous demandant de nous indigner - un peu - contre leur succès, ne voudrait-on pas détourner notre légitime colère?

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