Magazine Journal intime

Le bruit de l’horloge

Publié le 13 janvier 2011 par Anaïs Valente

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J’ai toujours détesté le bruit que fait une horloge.  Ou un réveil, c’est kif.

Et c’est pas passque je vieillis inexorablement (m’en fous, vous aussi vous vieillissez… et aussi vite que moi, siiiii, je vous jure) que j’aime pas les bruits d’horloge, ça a toujours été le cas.

Par contre, j’adore les horloges, car j’adore connaître l’heure (besoin de maîtriser les choses ?  peur du temps qui passe ?  Docteur Psy, votre avis ?).

Mais ce bruit.

Ce tic tac répétitif, qui n’en finira jamais, sauf au moment où le mécanisme doit être remonté ou au moment où la pile doit être changée, c’est insupportable.

Ça n’insupporte, je vous dis.

Quand j’entends ce bruit, il me suffit de fermer les yeux, et d’imaginer.

J’imagine un tout vieux canapé usé, dont les accoudoirs sont recouverts de napperons en dentelle (faits main), pour pas qu’il s’use plus.  Sa couleur ? Marron ou verdasse. 

J’imagine une tasse de café sur le coin de la table de salon en chêne.  A demi-bue seulement.  Du café sucré au lait à l’odeur écoeurante.  Froid.

J’imagine un journal.  Lu.  Impossible à replier correctement, comme tous les journaux.

J’imagine un tapis à ramages rouges, genre persan, mais sans aucune valeur, avec des floches aux extrémités, non, pas des floches, des franges.  Qu’il faut brosser pour qu’elles soient lisses et ne s’emmêlent pas.  Ça par contre, c’est pas mon imagination, c’est un vrai souvenir, et j’adorais brosser les franges des tapis quand j’étais môme.

J’imagine une odeur.  L’odeur typique qui règne chez les vieilles personnes.  Une odeur de renfermé.  Une odeur de cuisson.  Une odeur de café froid.

J’imagine des choses tristes, rien à faire, quand j’entends le tic tac qui n’en finit pas de ne pas finir.

Et j’imagine la faucheuse, là, cachée, tapie, qui attend son heure.

Et je m’imagine être d’un pessimiste exacerbé… puis je réalise que je ne dois pas être la seule à imaginer ce genre de chose en entendant une horloge, quand j’entends Brel chanter, superbement, mais si tristement, au point que ça me fiche la chair de poule, tant c’est criant de vérité :

Les vieux

Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan
Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier
Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends
Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s'ils sortent encore bras dessus, bras dessous, tout habillés de raide
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend
Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t'attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.

Bon, pour pas vous démoraliser trop, je vous ai mis, après « les vieux », « les vieux amants », superbe chanson également, et moins dépressive.

PS : nan, ce billet n'est pas récent, il fut écrit avant la période grippe.  Car maintenant, il y aura un avant et un après, comme avec Jésus Christ.  Même s'il est déprimant, il date d'avant grippe.  Bon, j'avoue que ces longues journées pleine de fièvre et de miasmes à écouter l'horloge ont renforcé ma conviction...


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