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L’âge sombre

Publié le 20 janvier 2008 par Frédéric Romano
- Moi : Bonjour !
- Elle : Bonjour !!!
- Moi : Tu es aussi inscrite en histoire ?
- Elle : Heu, oui… sinon je ne serais pas ici…

Le 3 octobre 1997 j’ai rencontré André, Michael et Xavier. Ils furent mes amis pendant toutes les années d’université, et ils le sont encore actuellement. Quand j’y pense, ça fait maintenant plus de dix ans. Les deux seules personnes avec qui j’avais lié quelques contacts avant cela étaient Dorothée et Delphine. Dorothée m’avait tenu compagnie lors du discours d’accueil de la section et Delphine était tout simplement la voisine d’une ancienne camarade de classe. Je n’avais pas pensé à leur demander leurs prénoms avant de rencontrer les trois autres. J’avais encore quelques efforts à faire en matière de sociabilité. L’après-midi du 3 octobre, j’annonçais fièrement à Dorothée que je connaissais enfin son prénom. “Et moi c’est Frédéric, je ne te l’avais encore jamais dit“. Une fois que j’eusse prononçé ces paroles, elle me regarda étrangement, par dessus ses lunettes et elle me précisa qu’elle le savait depuis le premier jour de notre rencontre.

L’âge sombre

Ils connaissaient mon prénom. Avec le recul, c’est difficile d’admettre que pendant une bonne partie des années qui suivront, c’est la seule chose qu’ils sauront de moi. Pourtant, en arrivant à l’université, je voulais changer les choses. J’étais en terrain inconnu et d’énormes perspectives s’ouvraient à moi. Qui m’aurait jugé dans ces auditoires ? Je n’avais plus le poids de cet insipide passé derrière moi et je ne traînais plus cette écœurante morale qui empoisonnait l’esprit de ceux qui n’ont pas choisi de vivre “à la ville”. Mais j’ai rencontré ces gens, ils m’ont plu et, par crainte ou par fénéantise, j’ai préféré faire semblant.

Mes deux premières années d’études furent studieuses. Dès les premiers mois, mes parents m’avaient fait comprendre qu’ils ne payeraient pas un redoublement. Je me suis donc très rapidement appliqué pour éviter l’échec. Ça ne pas empêché de payer mon minerval l’année suivante. ils ne m’y obligèrent pas, loin de là. Je suppose que j’avais juste un besoin d’indépendance, pour confirmer mes orientations et assumer mes choix. Certains jours étaient extraordinaires. Pour la première fois dans ma vie je me sentais entre amis. J’avais peine à rentrer après le dernier cours. Encore quelques éclats de rire, encore quelques paroles échangées. C’était interminable et tellement réconfortant. Je ne passais plus beaucoup de temps à la maison. Maman me laissait une assiette dans le micro-ondes et je soupais en rentrant du dernier train, vers minuit et demi.

La fin des candidatures devint plus difficile. Ça n’allait plus très fort à la maison. Maman était de plus en plus malade et Papa avait perdu son boulot. C’est étrange comme en quelques mois on peut perdre son innocence et sa joie de vivre. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai lâché si facilement prise. À vrai dire, je n’ai jamais vraiment su jusqu’où tout cela avait réellement été. J’ignore encore aujourd’hui la gravité des ennuis de santé de ma Mère à l’époque. Je n’ai pas cherché à savoir, j’ai tout pris sur moi. Le jour où mes parents m’annoncèrent qu’ils quittaient Braine-l’Alleud pour s’installer dans leur maisonette à la campagne, ce fut la fin d’une belle époque et, pour moi, le début de l’âge sombre.

J’avais toujours mes amis, le cercle s’était même grandement étendu. Il fallait désormais compter en plus Philippe, Clio, Laetitia, Brian, des gens qui vivaient pour ce qu’ils faisaient, des étudiants engagés et fiers de l’être. Moi, je marchais à deux mètres derrière mon corps. Petit à petit je disparaissais. Il y a eu quelques visites chez des médecins dont un qui me prescrivit des pilules blanches dont le nom me fait aujourd’hui sursauté. Il y a eu les premières visites chez un docteur de la tête mais rien n’y fit. Le processus était enclenché. Je me réfugiais dans un monde où le faux règnait en maître. De fausses crises de colère, grandioses et inutile. De fausses émotions, de fausses craintes et de faux espoirs. Malgré mon état de fatigue, jamais mon esprit ne fut aussi productif et imaginatif. Entre la déformation de la réalité et le mensonge pur et simple, je perdais mon identité. Pour devenir qui ? Je ne connaîtrai jamais le fou que j’aurais pu être. Quelque part il vit toujours. Il est bien rangé en moi, cadenassé dans les méandres de mon esprit désormais plus calme. Je le garde là comme on accroche à son tableau de chasse la tête d’un chevreuil ou d’un cerf. J’ai désormais fermé mon cabinet de curiosités et j’en ai jeté la clé.

A la fin du mois de mai 1999, les meubles étaient embarqués. Mon insouciance touchait à sa fin. La possibilité de me réfugier dans mon adolescence, auprès de mes parent, s’envolait définitivement. Je partais habiter à Bruxelles dans un studio que la mère d’un ami me louait pour un modeste loyer.La plupart des gens aurait été heureux de cette nouvelle vie qui débutait. Moi j’avais un mal de chien à l’accepter. Avant que le dernier camion ne parte, dans cette maison vide, sur un sol propre, le téléphone sonna alors que je m’apprêtais à débrancher définitivement la fiche. C’était un ami qui voulait prendre de mes nouvelles. J’aurais du lui dire…


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