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Entretien débauche

Publié le 24 janvier 2011 par Almiragulsh @DBEDF

Être au chômage, c'est à peu près aussi palpitant que de vider des truites sans les mains dans l'obscurité.
Le chômeur s'emmerde sévère. Il se fait deux brushings par jour (les rebiquettes en dedans, les rebiquettes en dehors, sans rebiquettes, avec des bouclettes...), se fait des frenchs aux orteils, apprend le programme de NT1 par coeur, compte de combien de fils se compose la toile d'araignée qui pendouille lamentablement dans un coin de son plafond, observe in vivo et en temps réel la formation du capiton sur le haut du cuisseau à grand renfort de tartines de nutella (c'est pour la science), expérimente au bout de combien de jours sans aller sous la douche sa propre odeur devient insupportable (c'est aussi pour la science)(toi aussi tu notes que le chômeur se lave les cheveux mais pas le reste du corps?) , fait des sculptures en rognures d'ongles, essaie de retenir sa respiration le plus longtemps possible très régulièrement. Le chômeur ne chôme pas, contrairement à ce que son nom semble indiquer. Mais il éprouve parfois le besoin de se confronter au monde de la vraie vie du dehors, juste pour pouvoir constater qu'effectivement, on est bien mieux à la maison à mariner dans sa crasse en regardant les moutons de poussière se former.
C'est pourquoi le chômeur va des fois passer des entretiens d'embauche. C'est vrai qu'il passe tout de même pas mal de temps à pondre un CV léché et des lettres de motivation chiadées sur lesquels il a sué sang et eau. Bon en même temps, il a rien d'autre à foutre de ses journées, ça l'occupe. Faire des lettres, faire des CV, les envoyer, recevoir des réponses négatives. Mais parfois le chômeur est tout de même convoqué à un entretien. Evidemment, il n'a absolument aucunement l'intention d'être recruté, la procrastination étant devenu comme une seconde nature. Mais bon, il y va quand même, parce que c'est exotique.

Entretien débauche

en plus d'être une pro du brushing, et d'avoir un goût sûr en matière de gobelets, je sais très bien me servir du téléphone filaire


Donc le chômeur va se prendre une bonne douche et pousse même le vice jusqu'à se faire un petit gommage corporel à la noix du Brésil (bon, ça va hein, tout le monde a compris que le chômeur était une chômeuse, fais pas cette tête de mérou hémiplégique). Il se fait aussi un masque capillaire au karité. Bref il se rend propre et doux.
Ensuite, il met ses plus beaux atours d'executive woman, un soupçon de blush, une lichette de mascara, un nuage de sent-bon, une touche de gloss, et il se dit qu'une telle dégaine mérite un CDI d'emblée. Et une voiture de fonction. Et 12 semaines de congés par an. Et un salaire indécent avec au moins quatre zéros avant la virgule.
Puis, le chômeur se ressaisit, s'emmitoufle jusqu'au sommet du crâne à grand renfort d'écharpe kilométrique, de gants en polaire, de manteau en laine, de bonnet à pompon, avant de sortir de chez lui et de se rendre compte qu'en vrai dehors, non seulement il fait 18, mais qu'en plus il est parti avec dix minutes de retard.
C'est ainsi emballé dans sa combinaison de sudation que le chômeur court à son rendez-vous. Et qu'il arrivera certes à l'heure mais avec les rebiquettes en vrac, le mascara dégoulinant, le gloss baveux, des auréoles fumantes sous les bras et la respiration haletante du cheval de trait pendant l'effort. A ce moment là, lucide, le chômeur tire un trait sur l'indécence de son salaire et sur sa 206 commerciale.
L'entretien commence par une poignée de main avec le recruteur. Elle est invariablement ferme et tonique alors que celle du chômeur est systématiquement molle et moite (rapport qu'il vient de se taper un sprint sur des talons de 12 et qu'il à cru que son coeur allait y passer).
Ensuite le recruteur lui présente le poste: "la photocopieuse est là, on vous aménagera un petit bureau dans le placard à balais qui est ici, tiens la machine à café, je prend le mien court et sans sucre"
Puis le recruteur présente ses conditions: il cherche quelqu'un de sur-qualifié pour effectuer des tâches subalternes payées une misère. Par contre ne rêvez pas, jamais vous aurez un CDI. Vous acceptez de travailler pour moins que le smic? Parce que nous ça nous arrangerait. Et si vous envisagez de procréer pendant que vous travaillez pour nous, on ira brûler la maison de vos parents. Ah et il faudrait que vous soyez graphiste, comptable, chef de projet, chargé de communication, que vous parliez le mandarin, que vous soyez secrétaire, chef pâtissier, titulaire du permis poids lourd, et si vous avez déjà élagué un platane, vraiment c'est mieux.
S'en suivent les questions. Connes pour la plupart.
Le recruteur: Etes vous quelqu'un d'organisé?Le chômeur: Non, pas du tout. Je suis un adepte du bordel. Mes fiches de paie sont dans mon frigo, je range mes escalopes de dinde avec mes chaussures, pour écrire un SMS il faut que je cherche le numéro de mon correspondant dans le bottin, ah ben non chuis bête c'est pas possible dans le bottin ya pas les numéros de portable, c'est trop con, les numéros de portable, je les écris toujours sur des tickets de caisse que j'essaime aux quatre vents, bon ben c'est pas grave je vais faire un fax, ah purée mais c'est bien sur je n'ai pas de fax et là je cède à la panique, je me roule en boule sous la table et je compte à rebours à partir de 1000 en allemand.
Le recruteur: Quelles sont vos principales qualités?Le chômeur: Mes seins tiennent tous seuls, je fais de très bons cookies, et je suis très organisée (cf. réponse précédente). Et je suis modeste aussi.
Le recruteur: Quels sont vos principaux défauts?Le chômeur: Je n'en ai aucun. Je suis la perfection incarnée.Le recruteur: Que pensez vous pouvoir apporter à notre entreprise?Le chômeur: Oh, ben dans un premier temps, ma bento-box avec de la salade de tomates dedans. A moins que vous me donniez des tickets restau. Et sinon, c'est tout... je vais pas faire à bouffer pour toute l'équipe non plus.
A ce moment là de l'entretien, le chômeur sait que c'est dans la poche. D'autant que le recruteur lui précise que 23654 personnes ont répondu à leur attrayante annonce, et que suite à une sélection drastique, ça se joue entre le chômeur et le fils du patron. A moins que le recruteur dise au chômeur qu'il aurait pas pu rêver d'un meilleur candidat, que le job est fait pour lui... enfin moyennant qu'il soit éligible à un contrat réservé à des repris de justice de 14ans ne sachant même pas écrire leur nom et vivant dans une barre d'immeuble qui fait tellement flipper que même les dealers n'osent pas s'y aventurer. Tout à fait le cas du chômeur qui respecte scrupuleusement la loi, a un bac +5, et qui vit dans une maison de poupée cosy et rose, qui sent le papier d'Arménie et le thé vert japonais. 
C'est pour ça que le lorsque le chômeur reçoit un mail  laconique qui dit:
Bonjour Mademoiselle,
Nous vous remercions de votre intérêt pour notre entreprise et d'être venue nous rencontrer aussi vite, toutefois nous sommes au regret de vous informer que votre candidature n'a pas été retenue pour ce poste.
Cela ne remet pas en cause ni sa qualité ni son intérêt, mais s'explique par sa mise en concurrence avec d'autres profils présentant des compétences et un parcours professionnel plus en adéquation avec les exigences du poste que nous avons à pourvoir.
Nous espérons que vos démarches aboutiront rapidement et vous prions de recevoir nos sincères salutations.le chômeur tombe un peu de haut avant de se remettre consciencieusement à la confection d'empanadillas, au tressage de scoubidous et à l'observation consciencieuse de la vie de l'araignée domestique dans son habitat naturel.  

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