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Introduction à l’écriture d’un roman français

Publié le 31 janvier 2011 par Gborjay

Sous cet intitulé aguicheur se cache une théorie profonde et mystérieuse que Gustave Borjay est prêt à vous faire toucher du doigt, pourvu que vous-même soyez prêt…

Si vous croyez qu’écrire un roman français, c’est écrire un roman avec des phrases en français, vous n’avez probablement rien à faire sur cet article. Gustave Borjay ne prendra même pas le temps de vous confondre, d’étaler au grand jour le gouffre de votre inculture, vous couvrant de honte et de pipi pour le restant de vos jours. Non, vous n'en valez décidément pas la peine.

Car écrire un roman français, ça peut très bien être écrire quelque chose qui ne ressemble à rien, surtout pas à un roman, et dont la langue elle-même est suffisamment déstructurée, voire violemment défigurée, pour ne pouvoir prétendre à la nationalité française.

Ce guide incongru, ce manifeste désinvolte, ce précis flou et mou ne prétend humblement qu’à donner un aperçu simple et perfectible des immenses possibilités du roman français.

Tout d’abord, sachez que le sujet idéal de votre roman français sera de ne pas en avoir. Ne vous fixez pas de but, non pas que ce serait inutile, mais parce que ce serait vulgaire et étroit d’esprit. La contrainte, c’est le papier, l’encre, le physique et le fini, et c’est déjà beaucoup.

Ce qu’il vous faut donc, puisque vous devez fuir tout ce que l’on peut regrouper sous le nom subversif d’idée, c’est un cadre, une ambiance. Cela peut aller d’un orphelinat religieux abandonné à un quartier populaire pendant la crise. Vous pouvez également choisir une astucieuse alternance ville/champ qui ravivera des tensions millénaires. Sachez pondre des personnages réels, des personnages que l’on ne comprend pas, dont les contradictions apparentes seront des contradictions profondes et inexplicables. Faites en sorte que le lecteur soit aussi perdu que vous s’il lui vient l’idée profanatrice de chercher une orientation à votre roman français.

Car un roman français n’a pas d’orientation, il n’a pas de limite, il peut se lire en inversant des chapitres, en intercalant des passages d’Antigone d’Anouilh, en ne lisant que les premiers mots de chaque ligne, etc. Le temps – la chronologie –, on n’a plus à s’en soucier depuis que Proust nous a montré qu’on pouvait le retrouver à la fin.

Parlez avec des phrases brèves. Parfois, hésitez… Merde alors, vous vous rendez compte qu’ajouter un peu de trivialité, c’est plus naturel. Naturel ! Un mot familier et lointain. D’ailleurs, vous en avez marre de ce naturel. Ce naturel que vos parents ont toujours voulu vous imposer. C’est quoi, d’abord, le naturel ? Pourquoi s’agenouiller devant ce naturel. Je veux être artificiel désormais.

Continuez avec des interrogations rhétoriques subtiles et maladives. Soyez haché, brusque, hérissé. Faites monter la sauce, jusqu’au fameux coup de fil :

« Allo, c’est qui là ?

— C’est ta mère, Domitille… Non ! Ne raccroche pas, j’ai à te parler.

Pourquoi ? Parler n’a jamais été qu’aligner des mots avec toi (exemple type de bonne phrase, à la résonnance tragique et opaque en même temps)…

Il fallait juste que j’entende ta voix !… Et puis, et puis ton père a été inculpé pour viol.

Quelle guigne, c’est moche. Mais tu sais, j’ai moi-même des problèmes. Et te parler, c’en est un de plus.

Je savais que tu comprendrais. »

Si le sujet vous intéresse, sachez que vous pourrez aller plus avant par vos propres moyens : vos introspections expérimentales. Cherchez, cherchez toujours, sans jamais découvrir, c’est ainsi que l’on progresse. Que votre narration soit terne et riche, brève et interminable, monotone et saccadée. Qu’elle n’illustre rien mais qu’elle reflète tout.

« Barnabé était bien. Il ne savait pas pourquoi. Il respirait enfin, le souffle court, les yeux mi-clos. Tout était à refaire, qu’importe ! Il avait ce qu’il voulait, du moins le pensait-il. N’était-ce pas l’essentiel ? Pourvu seulement que ces heures affreuses ne revinssent plus. Et Marie, pourquoi ce regard ? Elle aussi, elle croyait savoir… Lui-même doutait, mais ça ne comptait plus. La seule chose qui comptait, c’était la douleur acide des gouttes d’eau sur ses cheveux, c’était l’haleine glaciale et venimeuse du vent sur ses joues, c’était les giclées de boues des ornières au passage des voitures. Rien ne serait plus comme avant désormais, mais il était serein. Serein. Serein... Un vrai serein se dit-il serein ?… »

Gustave Borjay vous salue.

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Le Goncourt, Gustave Borjay connaît. Cela fait déjà dix ans qu'on le lui
propose chaque année. Sans succès. Fort de cette riche expérience,
il se sent désormais prêt à vous prodiguer ses conseils.


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