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Claude Louis-Combet | Bethsabée à jamais

Publié le 03 février 2011 par Angèle Paoli
«  Poésie d'un jour

Bethsabée
Rembrandt Harmensz. Van Rijn, dit Rembrandt
Bethsabée au bain tenant la lettre de David, 1654
Huile sur toile, 142 x 142 cm
Paris, Musée du Louvre
Source


Du vieil Rembrandt à sa belle Hendrickje

  Amour de moi, que restera-t-il bientôt de mon corps entré dans le reflux ?

À saute-rides, sur mon visage, ta main cherche un souvenir de beauté.

L’ombre a perdu la partie dans mon regard. Il s’incolore, il se noie dans la blancheur de ses eaux. Ce ne sont pas larmes retenues, c’est amnios résiduel, antérieur à toute vision, et débordant sans pudeur.

Je te souris dans la débâcle de mes dents.

Mes lèvres buboniques ne t’effraient pas encore. Ta bouche vient s’y presser, comme ferait un enfant aveugle qui embrasserait  son chien.

Mon souffle n’est plus ce qu’il était. Mes bras non plus. Ils sont chétifs dans l’étreinte et étroits dans la douleur.

J’ai le ventre boudiné et la peau flasque. Encore un peu de lassitude, et j’accrocherai cette défroque au portemanteau.

Ce n’est pas l’esprit qui souffle le plus. Entre organum et trompette, mon boyau lâche de l’air à tout venant. Musique pour l’oreille et pour le nez ; sans distinction. Aura de fétidité pour celui qui rêva d’être un saint.

Ma peau a séché. La canicule a frappé le vieux crapaud sur le chemin désert. Il se plisse et s’écaille. Mais ce n’est pas une mue. Le terme seulement.

Quand la blancheur de mon poil aura conquis mon pubis, alors, amour de moi, rends-moi à la terre qui me rendra la blancheur de mes os.

Contemple mon phalle. Absenté des puissances du désir, il est comme s’il n'était pas. Rentré en lui-même, il a remonté son cours jusqu’aux lobes du cerveau, où il rêve. Dans le creux de ta main, il a consistance et somnolence de nourrisson. Agite-le tendrement, il régurgitera son lait.

Mes ballottes  grelottent, maigries  et falottes. La braise est morte. Froids, les marrons. Vides, la gousse et le gousset.

Un vieux prurit a fait de mon cul une nèfle parmi les ronces. Touche-moi. Touche le fond du sang, le bitume et la poix — dernier recours de ma palette.

Amour de moi, la chair fut brève. J’ai fixé ta nudité dans la mémoire de mes toiles et sur le papier. Ainsi demeures-tu, tandis que je passe. Éternelle Bethsabée et courbure d’éternité. Éternelle toison d'or rescapée des vaisseaux du temps. David le périssable survivra-t-il dans le souvenir de ta beauté ?

Ne cesse pas de croître cependant que je m’abîme en absence. Le passé a rattrapé mon corps. Bientôt il le dépassera. Déjà je ne suis que pour avoir été. Sur le chevalet noir, mon dernier portrait me dévisage. Il tient mon coeur dans l’angoisse de ses traits et ton amour dans la lumière de son front.

Claude Louis-Combet, Bethsabée à jamais in Cantilène et fables pour les yeux ronds, José Corti, 2006, pp. 75-76-77.


CLAUDE LOUIS-COMBET

Louiscombet_1

Source

■ Claude Louis-Combet
sur Terres de femmes

Celle par qui la ténèbre arrive
→ Depuis le temps que la chair s’épure
→ Hiérophanie du sexe de la femme
→ Isula, insula
→ « J’écris du désir comme du désert »
→ Mala Lucina
→ Noyau Central
→ Résurgences

■ Voir aussi ▼

→ 4 octobre 1669 | Mort de Rembrandt



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