Magazine Journal intime

Les Garrigues.

Publié le 05 février 2011 par Douce58





      Cinq cents mètres environ après le passage à niveau, dont les barrières s’abaissaient parfois à l’arrivée de la micheline rouge et crème, le plateau des « Garrigues » s’élevait, signalé par un grand cyprès solitaire, sur la rive droite de la route de Saint-Estève. C’était le but de notre promenade. Depuis le Foyer, rue Ampère, une bonne marche de quatre kilomètres.  Dès le mois de mars, le généreux soleil du Roussillon nous tenait chaud, mais il était mal vu du père Coreau et de ses lieutenants d’emporter une gourde. Nous devions apprendre à endurer la soif et offrir ce petit sacrifice à Dieu...  De retour au Foyer, après la marche et les grands jeux, nous faisions la queue devant l’unique robinet de cuivre de la cour, attendant fiévreusement que vienne notre tour de nous désaltérer. Je peux dire que j’ai connu la soif dans ces années-là, mais aussi la volupté de boire, de happer, de laper, d’entonner de l’eau fraîche.      Les « Garrigues » s’étendaient à l’ouest de la ville jusqu’aux villages de Saint-Estève et de Baixas et rejoignaient au nord le périmètre de l’aéroport de la Llabanère. Leur sol caillouteux et rougeâtre était couvert de cette végétation basse, dense et épineuse, caractéristique du Sud. Les massifs de genêts et de cistes abritaient de gros lézards ocellés, que nous dérangions quelquefois dans leur bain de soleil. Des failles aux parois argileuses peu profondes mais abruptes et encaissées, au fond desquelles stagnaient de rares flaques d’eau laissées par des rios intermittents, s’ouvraient inopinément dans ce territoire sauvage. Quelques yeuses, quelques figuiers, des bouquets de grands aloès étaient plantés comme des sentinelles à la lèvre de ces petits canyons.  Nous gravissions le coteau en suivant un sentier ravagé de crevasses, qui débouchait au pied du cyprès solitaire. Le regard était tout de suite aimanté par la perspective cavalière d’une double rangée de vieux oliviers, au bout de laquelle, sur un promontoire piqué de grands pins parasols et tapissé de figuiers de Barbarie, se dressaient les ruines d’un ancien mas, que nous appelions « la maison cassée »      Les « Garrigues » étaient le théâtre de nos grands jeux, jeux de piste et jeu du bison. Le gars qui était désigné comme « bison » partait se cacher dans la nature. Il bénéficiait d’une avance d’un quart d’heure environ. Ce laps de temps écoulé, les « chasseurs » se mettaient à ses trousses. Pour « tuer » le « bison », il suffisait de l’apercevoir et de crier « vu! ». Mais s’il parvenait, par ruses et par détours, à revenir inaperçu dans le périmètre du camp, c’était lui le vainqueur.      Après des heures de jeu dans les « Garrigues », nous rentrions, toujours à pied, au patronage, non sans nous être arrêtés auparavant à l’église Saint-Christophe pour assister, un dimanche sur deux, aux vêpres.    Un jour, sur le chemin de retour d’une de ces grandes promenades, l’abbé Coreau nous interrogea :
- Qu’est-ce qui vous semble le plus beau dans tout ce qui nous entoure ? 

- Euh…
      Le père nous avait peu habitués aux considérations esthétiques. Tour à tour furent proposés le beau ciel bleu pâle de cette fin d’après-midi, le frais ruisselet, qui courait dans le fossé le long du chemin, tel ou tel arbre plus haut et plus majestueux que les autres…
- Voulez-vous savoir ce que, moi, je trouve le plus beau?


- Qu’est-ce que c’est, Père ? Dites-nous. »
    Alors l’abbé, tournant vers le couchant son profil maigre, qui en fut nimbé de lumière rousse, nous montra au bout d’une ligne idéale, dans le prolongement de sa main ouverte, l’évidence de la Beauté.  Si nous ne l’avions pas nommée, c’est que nous étions sans doute trop habitués à sa présence et que nous n’avions peut-être pas encore appris à voir : plus bleu que le bleu du ciel, ourlé d’un fil d’or, le Mont Canigou, calme et puissant, veillait sur la plaine...

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