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Edgar

Publié le 23 février 2011 par Banalalban

Mais Edgar, lui, n’avait nul besoin d’inventer sa vie : malgré le certain ennui qu’elle lui inspirait parfois, de la routine à l'habitude, son existence lui convenait entièrement. Il aimait se lever le matin de bonne heure, s’étirer pendant de longues minutes tout en regardant les rayons de soleil percer ses volets. Il en aimait les formes sur ses draps quand ces derniers y venaient à mourir. Il aimait prendre son café, y tremper un sucre, le regarder s’effriter lentement à mesure que le liquide y remontait. Il aimait regarder le miel couler de sa cuillère et les bulles à l’intérieur, comme emprisonnées et qui semblaient flotter. Il aimait le son de la ventilation qui fait comme une respiration dans le silence endormi. Il en aimait la présence et l’amitié.

Ce qu’il préférait plus que tout, c’était observer la ville s’éveiller. Les bruits et les brumes, les sons et l’essence même de la cité, les pétarades des pots d'échappement, les discussions en contrebas. Il appréciait sentir l’air froid gorgé de rosée prendre possession de sa peau, y glisser en chair de poule étoilée, tout comme il investissait la ville toute entière. Il pouvait ainsi rester des heures sur son balcon, grelottant, frissonnant. Il pouvait voyager, voler au dessus de Paris pour mieux ressentir ce que serait l'engouement de cette nouvelle journée.

Il se préparait ensuite pour le travail, s’habillant avec hâte : un pantalon à pinces, une chemise blanche impeccablement repassée et une veste en velours côtelé brune. Parfois, s’il faisait froid, il mettait une écharpe.

Il descendait les escaliers quatre à quatre, enjoué, sifflotant.

Lorsqu’il arrivait dans la rue Clauzel, il relevait toujours le col de sa veste. Ceci était comme le signe immuable que la journée pouvait enfin commencer.

Parfois, il s’offrait quelques viennoiseries qui, généralement, lui restaient sur l’estomac pour le restant de la matinée. Il se maudissait alors de cette incartade, se reprochant cette faiblesse gourmande.

[...]

Le petit monde d’Edgar s’effondra le jour où il ne se vit plus sur le tableau proclamant le meilleur employé du mois. Il resta figé là un moment en plein milieu de l’atelier d’encollage pour observer le tableau noir qui n'affichait plus son nom, annonce qui avait été jusque là, son unique source de fierté.

Et pour la première fois de sa vie, il saigna du nez.


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