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10 mars 1948 | Mort de Zelda Fitzgerald

Publié le 10 mars 2011 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

  Le 10 mars 1948 meurt Zelda Fitzgerald (Zelda Sayre, épouse de l’écrivain Francis Scott Fitzgerald), une figure légendaire des Années folles. Elle périt brûlée dans l’incendie de l’hôpital psychiatrique Highland d’Asheville (Caroline du nord) où elle était internée depuis 1936. Elle était âgée de quarante-sept ans.
ZELDA
Scott and Zelda Fitzgerald Museum
Montgomery (Alabama)
Source


  Dans la mémoire collective, l’image de Zelda est indissolublement liée à celle de Francis Scott Fitzgerald qu’elle épousa à New York le 3 avril 1920. Fitzgerald venait tout juste de publier The Romantic Egoist qui deviendra This Side of Paradise, aujourd’hui traduit en français sous le titre Fragments du Paradis. C’est alors que commencent pour l’écrivain une carrière littéraire brillante, et une vie mouvementée, fragile et instable, que dominent l’argent et la célébrité. Le vide et l’alcool. Après un voyage de deux années en Europe (1924-1926), il publie Gatsby le Magnifique, considéré comme son chef-d’œuvre. Zelda, prise dans le même tourbillon effréné, veut profiter de la vie et du succès. Le couple se rend à Paris où Zelda peut se livrer à ses fantaisies (1928-1929). Mais la schizophrénie la guette. Et conduit Zelda à errer d’une clinique psychiatrique à une autre. Hospitalisée à « La Malmaison » pour dépression nerveuse, elle l’est ensuite en Suisse, à Valmont, puis à Prangins. La mort de son père en février 1932 la ramène aux États-Unis, dans une clinique psychiatrique de Baltimore. Scott Fitzgerald se remet au travail de son second grand roman, commencé en 1925 et interrompu par les rechutes de Zelda.
  Achevé en 1934, Tendre est la nuit est le récit quasi autobiographique de la lente dégradation d’un couple, miné par une « fêlure », l’alcoolisme, une désintégration progressive et l’effondrement. Un ouvrage écrit en contrepoint offusqué du roman autobiographique de Zelda Fitzgerald, publié en 1932 : Accordez-moi cette valse (Save me The Waltz). Sa seule et unique publication.
  D’abord publié sous forme de feuilleton dans Scribner’s Magazine, Tendre est la nuit sort en librairie en avril 1934. Tendre est la nuit ne connut pas le succès escompté par son auteur et, à la mort de Fitzgerald, survenue le 21 décembre 1940, l’ouvrage était devenu introuvable. La fin de F. Scott Fitzgerald ressemble étonnamment à celle de son héros, Dick Diver. EXTRAIT de TENDRE EST LA NUIT

14

  Dick se réveilla en sursaut vers cinq heures du matin. Il venait de rêver de la guerre […]
  Assis au bord de son lit, il eut le sentiment d’un vide immense autour de lui : sa chambre, la maison, la nuit même. Dans la pièce voisine, Nicole marmonnait en dormant. Comme une plainte triste, le constat d’une solitude qu’elle ressentait dans son sommeil et qui le rendait malheureux. Le temps ne bougeait pas pour lui. C’était une notion immobile, avec de brusques accélérations, certaines années, comme un film qu’on rembobinerait à toute vitesse. Pour Nicole au contraire le temps obéissait au rythme des horloges, des saisons, des naissances, avec la certitude déchirante que sa beauté diminuait inéluctablement.
  Ces dix-huit mois passés au bord du lac de Zoug avaient été du temps perdu pour elle. Elle n’avait déchiffré les saisons que sur le visage des cantonniers : rose tendre en mai, brun-rouge en juillet, presque noir en septembre, et de nouveau blême au printemps. Après sa première guérison, elle s’était aveuglée de trop d’espoirs nouveaux, alors qu’elle n’ avait aucune existence personnelle, qu’elle tirait tout de Dick, mettant au monde des enfants qu’elle ne pouvait que faire semblant d’aimer tendrement, comme des orphelins qu’elle aurait pris en charge. Les gens qui l’attiraient, des révoltés pour la plupart, l’angoissaient et lui étaient néfastes. Elle était à l’affût de cette force vitale, qui avait fait d’eux des indépendants, des créateurs ou des têtes brûlées, mais elle la recherchait en vain. Car le secret de cette force vitale était enfoui au plus profond de leur enfance, au milieu des combats qu’ils avaient eux-mêmes oubliés. De leur côté, ce qui les attirait en elle, était son charme, l’harmonie de ses traits, sa beauté extérieure — le revers de sa maladie. Elle était seule, vivait seule, n’ayant que Dick pour tout bien, et Dick refusait d’être regardé comme un bien.
  Il avait essayé sans succès de diminuer l’emprise qu’il avait sur elle. Ils avaient été si heureux ensemble, connu tant de nuits blanches, à parler jusqu’à l’aube, entre de longs moments d’amour. Mais dès qu’il se détournait d’elle, pour tenter de se retrouver, elle n’avait plus, entre les mains, qu’une sorte de Néant, qu’elle regardait fixement, en lui donnant des quantités de noms, mais elle savait que le seul nom possible était l’espoir qu’il revienne bientôt.
  Il écrasa son oreiller, en un rouleau rigide qu’il glissa sous sa nuque en se recouchant, comme font les Japonais pour ralentir leur circulation sanguine, et se rendormit un moment.

Francis Scott Fitzgerald, Tendre est la nuit [Tender is the Night, Charles Scribner’s Sons, 1933-1934], Belfond, 1985 pour la traduction française ; Le Livre de Poche, 1990, pp. 244-245. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Tournier.


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