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Votre fiction est ma réalité

Publié le 10 avril 2011 par Nicolas Esse @nicolasesse

Votre fiction est ma réalité

J’ai de longues conversations avec Blaise Cendrars. Pierre Desproges ou René Fallet. John Irving ou Nick Hornby. Avec Françoise Sagan ou Gustave Flaubert.

Le plus souvent avec René Fallet qui est mort en 1983 et qui a écrit des livres remplis d’alcools gais ou tristes. Fallet qui écrivait des livres populaires avec une langue d’élite. Paris au mois d’août, où Henri Plantin, vendeur au rayon pêche à La Samaritaine rencontre Patricia Seagrave, Anglaise, blonde et longue, dans les rues de Paris, qui « balancait, heureuse, un petit sac à main noir. » Le soir, Plantin regarde la nuit qui tombe et je regarde avec lui.

Un de mes meilleurs amis s’appelle Owen Meany. C’est un petit garçon qui grandit en restant très petit. Il écrit toujours en majuscules, c’est sa voix. SA SIGNATURE. Il est si léger que ses camarades peuvent le porter à bout de bras. C’est un garçon qui vivait en Amérique, je dis « vivait » parce qu’il est mort. Dans le roman de John Irving, Une Prière Pour Owen, Owen Meany meurt écartelé par une grenade. Sans bras. Un peu comme Cendrars qui perd sa main droite sur un champ de bataille.
Je parle aussi avec Rob, le disquaire anglais de Championship Vinyl, dans Haute-Fidélité. Un type plutôt chauve et très anglais qui ressemble à son auteur, Nick Hornby, tout à fait chauve et très anglais. Tous les jours de football que Dieu fait, Nick Hornby va voir jouer Arsenal. Françoise Sagan joue dans un casino à Deauville. Ça, c’est pour la vitrine. Pour faire vendre de la copie. En réalité, Françoise Sagan est une femme qui traverse les années, droit et intelligente, en étalant sur sa vie une large couche de vernis brillant pour protéger sa profondeur et ses excès de gravité. Elle partage avec Flaubert la sainte détestation de la bêtise. Ils ont tous les deux un nez pour ça. Un radar infaillible. Flaubert, plutôt replet, à l’épaisse moustache en guidon de vélo, Flaubert qui n’a jamais écrit : « Madame Bovary, c’est moi ». Mais c’est une belle histoire et peut-être qu’il l’a dit. On ne sait jamais avec ces gens-là. Ces gens qui racontent des histoires. Qui existent ou qui n’existent pas. Des romans. De la fiction. Et pourtant Madame Bovary existe et elle a eu des enfants. Des petits-enfants. Des arrière-petits-enfants. Des femmes et des hommes qui vivent aujourd’hui. Pourtant Salambô existe. Et Rob dans Haute-Fidélité. La petite Jehanne de France à côté de Cendrars dans le Transsibérien.

Quand Pierre Lazareff lui demande s’il a réellement pris le Transsibérien, Cendrars répond «Qu’est-ce que ça peut te faire puisque je vous l’ai fait prendre à tous ? ». Qu’est-ce que ça peut faire Blaise ? Qu’est-ce que ça peut nous faire, que le train soit en fer ou en petits caractères, ce sont deux trains qui nous font traverser la terre.
Pour que votre réalité et ma fiction se rejoignent, il suffit de trouver le point d’intersection qui relie les voies de ces deux trains. Deux voies ferrées et parallèles qui se croisent seulement à l’infini.

Your fiction is my reality.



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