Magazine Humeur

Aborder la vie après Auschwitz

Publié le 08 mai 2011 par Trinity

En zappant ce matin, je suis tombée sur ce reportage... Je vous conseille vivement de prendre le temps de le voir si vous n'avez pu le voir l'an dernier quand il est passé dans le programme infra_rouge de France_2 .

Aujourd'hui, il était rediffusé sur

Public_Senat
.

Aborder la vie après Auschwitz

aborder_la_vie_apres_auschwitz_M36625

Son film commence là où se sont arrêtés les autres. Car s'il a fallu du temps, après la guerre, pour que le grand silence autour des survivants des camps d'extermination se fendille, la plupart des documentaires se sont alors focalisés sur l'âpreté de la lutte pour la survie, l'innommable indifférenciation tatouée, l'effritement de l'humanité derrière les barbelés. Documentariste reconnue, qui a longtemps travaillé avec Patrick Rotman, Virginie Linhart a choisi, elle, la question de l'après, les mois et les années qui suivirent la libération des camps par les Alliés. « Petite-fille et fille de juifs qui ont échappé à la déportation en se cachant en France, je viens d'une famille de rescapés miraculeux dont quasiment tous les membres vivant en Pologne ont été exterminés. Je me suis toujours demandé comment on faisait pour supporter cette histoire-là. »

A ce questionnement taraudant, ses grands-parents ont toujours opposé, comme beaucoup d'autres, le mutisme. Son père, pionnier du maoïsme français, cofondateur en 1968 avec Benny Lévy de la Gauche prolétarienne, n'a pas été plus disert. Dans l'ouvrage qu'elle lui a consacré en 2008, forte du constat que nombre de dirigeants révolutionnaires de 68 étaient issus de familles rescapées, Virginie Linhart s'interrogeait déjà sur les ressorts et la singularité de leur parcours. « 68, comme façon de sortir du statut de survivants, pour affirmer leur appartenance au monde des vivants. [...] Rêver, se battre, faire de la politique et surtout parler. Car les survivants ne parlent pas (1). » Un génocide et une reconstruction en héritage qui la poussent à accepter la proposition de Fabienne Servan-Schreiber, prolifique patronne de Cinétévé qui a initié une collection de documentaires autour de la mémoire.

Il y avait quelque chose de dérisoire,
face à la monstruosité,
à parler de l'après.”

Pour construire son propre film, elle lit beaucoup, revisionne, s'aperçoit que le territoire où elle a décidé de s'aventurer n'a jamais été arpenté. « Bien sûr certains de mes témoins ont déjà raconté. Par écrit ou filmés, ils ont évoqué, parfois durant de longues heures, l'arrestation, le camp, les crématoires. Alors il y avait quelque chose de dérisoire, face à la monstruosité, à parler de l'après. » Pour réinscrire ces histoires individuelles dans une dimension collective, pour qu'elles « fassent sens », elle va poser ses questions à une trentaine de survivants. « Je voulais qu'ils soient nombreux à s'exprimer, venus de toutes les classes sociales, de toutes les régions, pour qu'on ne puisse pas dire : "Ah, celle-ci elle s'est mal débrouillée, elle n'a pas eu de chance". » Mais les convaincre se ­révèle ardu. « Ils sont à la fin de leur vie, beaucoup se dépensent sans compter dans les lycées et les collèges pour perpétuer la mémoire de la Shoah, et moi j'arrivais en leur intimant de ne pas évoquer cette période mais d'aborder la vie d'après. »

Munie de fiches qu'elle a rédigées, en leur montrant qu'elle connaît leurs souvenirs dans le moindre détail, qu'elle sait ce qu'ils ont affronté, elle les rassure, les guide jusqu'à aborder l'intime, la famille, la dépression... Et elle leur dit d'où elle vient. « L'horreur ne me fait pas peur. Je fais partie de cette histoire-là. »

Croisement thématique des récits, son film doit aussi beaucoup aux archives inédites, qui les replacent dans leur contexte historique. Et aussi aux photos empruntées aux albums de famille. « J'ai joué de l'identification. Même ceux qui sont indifférents ou ne connaissent pas cette période songent que les ­clichés, ceux de ces gens qui se ­marient, rêvassent dans l'herbe, sont les mêmes que ceux qui figurent dans leur propre album. » Avec ce film, Virginie Linhart dit avoir fait œuvre utile, attrapé une chose « après laquelle [elle] courai[t] ». Un fragment de notre mémoire collective.

(1)Le jour où on mon père s'est tu, de Virginie Linhart, éd. du Seuil, 2008. 

Aborder la vie après Auschwitz
Après les camps, la vie”,

Durée : 1 heure 15 minutes

Des rescapés juifs des camps d'exterminations nazis racontent comment s'est passé leur retour en France après la guerre et comment ils ont recommencé à vivre.

Pour les survivants juifs des camps d'exterminations nazis, le retour en France, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, fut une épreuve difficile, qu'il est encore aujourd'hui difficile d'appréhender. Comment renouer avec le fil d'une vie interrompue dans une telle violence ? Comment se reconstruire alors que toute sa famille a été tuée ? Pour la première fois des survivants racontent ce que fut leur vie après les camps, accompagnés d'archives personnelles extraites de leurs albums de famille. Avec les récits, entre autres, de Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens, Dora Golan-Blaufoux, Ady Fuchs ou encore Charles Baron.

Tapie en silence dans l'ombre du pire, l'épreuve du retour des camps est rarement évoquée. Elle est au coeur de ce documentaire. Qu'y a-t-il juste après l'horreur ? Peuton rejoindre les humains quand on a subi l'inhumain ? Déportée à l'âge de 15 ans, Isabelle Choko raconte le jour où les portes du camp de Bergen-Belsen se sont ouvertes : « On a entendu des voix qui disaient : «Vous êtes libres, nous sommes l'armée britannique». Ma première pensée a été de me dire : A quoi bon ? Ma mère n'est plus là, mon père n'est plus là. [ ... ] Je n'avais plus envie de vivre. » Voix d'une humanité massacrée au seuil de l'existence, dans laquelle se fait aussi entendre l'écho de ceux qui n'ont pas pu revenir et se sont donné la mort, après y avoir échappé. A l'aube du tournage, la réalisatrice avait fait part à Simone Veil de son étonnement d'être la première à aborder la question de cet « après ». L'ancienne ministre de la Santé, rescapée d'Auschwitz, lui a répondu : « C'est normal : c'est encore plus douloureux. »


Ce film (produit par Cinétévé) délivre une parole inédite, au sens propre.
« Au départ, il a fallu convaincre ces hommes et ces femmes, engagés avec force dans le travail de mémoire, qu'il y avait aussi du sens à raconter cela », commente Virginie Linhart. Sur le plan historique, c'est un chapitre méconnu qui s'incarne. D'un récit à l'autre se dessine le retour en France avec, à chaque fois, la même indifférence. Ceux qui sont attendus, ce sont les prisonniers de guerre. Aussi difficile que ce soit à imaginer, les rescapés, eux, font à nouveau le trajet du retour entassés dans les wagons à bestiaux ! Comme si devoir renouer avec un pays qui les a trahis n'était pas suffisant. Chacun raconte un morceau de mémoire, intacte de douleur : le premier petit déjeuner où les vivants n'osent pas dire un mot, amputés des absents ; cette « envie de ne pas rentrer » qui fait exploser les tentatives de retour à la normalité ; et la nuit, comme un puits à cauchemars. Marceline LoridanIvens, qui a raconté sa déportation à Birkenau dans son film « la Petite Prairie aux bouleaux », constate : « Nous avons tous un camp dans la tête. » Mais aussi des rêves, réalisés, des vies nouvelles, arrachées à la nuit, écrites avec l'énergie des miraculés. Parce que la jeunesse court plus vite que le malheur. Parce que l'amour sauve. Parce que les enfants vous réinventent. « Mes grands-parents ont échappé à la déportation, alors que toute leur famille, quasiment, a été exterminée. Ils n'en parlaient pas. Je me suis toujours demandé comment cette histoire avait façonné leur vie et celle de mon père. » De ce questionnement, Virginie Linhart, 44 ans, a fait le point de départ d'une quête qui touche à l'universel. « Je cherche à relier l'histoire individuelle à l'histoire collective », dit la réalisatrice à laquelle on doit notamment un excellent documentaire, « 68, mes parents et moi », ainsi qu'un livre poignant « le Jour où mon père s'est tu » (Le Seuil). Dans l'un comme dans l'autre, son histoire de fille de révolutionnaire - son père, Robert Linhart, est le fondateur du mouvement prochinois - donne la main à celle d'autres enfants de 1968. Elle analyse : « Atteindre cette dimension collective me fait sortir de ma souffrance individuelle. » Un chemin qui est le nôtre comme spectateurs, grâce à ce film où la parole est un choeur de résilience. L'Histoire assassine n'a pas raison de l'humain, nous disent ceux qui ont vu l'aube se lever à nouveau, pleine de détresse et de promesses.

Marjolaine Jarry

logo_teleobs_header

http://www.villagillet.net/attachments/portraits/0000/0225/Linhart.V%C2%A9Hannah-Oplae2_web_thumb.jpg
Virginie Linhart, née en 1966, est réalisatrice de documentaires. Elle a notamment publié Volontaires pour l'usine. Vies d'établis 1967-1977 (Seuil, 1994), Enquête aux prud’hommes (Stock, 2000) et Le jour où mon père s’est tu (Seuil, 2008).

Virginie Linhart participera à :
Michel Deutsch et Virginie Linhart, Lundi 4 Mai 2009 à 19h00, L'Ecole Supérieure d'Art et Design de Saint-Etienne

Virginie Linhart a publié :
Le jour où mon père s'est tu - Seuil - 2008


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Trinity 33 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazine