Magazine

Cannes, premières bobines

Publié le 16 mai 2011 par Joachim
Bon, je ne suis pas le plus rapide pour évoquer l'actualité cannoise. Raison de plus, peut-être, pour invoquer celui qui tire plus vite que son ombre.
Cannes, premières bobines

Un pianiste de saloon rêve de donner un jour, un concert, un vrai où il pourra jouer du Schubert, du Liszt, du Chopin et pas des rengaines pour couvrir les bruits de bagarre. Enfin, un jour, il postule à l’auditorium le plus proche et il décroche une date. Le jour venu, en entrant en scène, il est tellement tétanisé par le silence et le cérémonial que ses doigts se figent au moment de se poser sur le clavier. Alors, son ami (Lucky Luke), observant la scène en coulisses, saute sur son fidèle Jolly Jumper, déboule à l’orchestre, met le bazar dans cette ambiance compassée. Dans ce chaos de bagarres et de cris, le pianiste retrouve la spontanéité qui est la sienne et coulent de ses doigts les partitions qu’il rêvait de jouer depuis si longtemps. Seulement, personne n’a écouté. Le concert a-t-il eu lieu ? Pour les spectateurs, sans doute pas. Pour le pianiste, oui mais peut-être seulement dans sa tête.

J’adore réellement cette histoire, Sonate en colt majeur, qui figure dans un album de sept petites histoires de Lucky Luke paru en 1974. Enfin, quand je dis que je l’adore, j’adore surtout le sentiment que j’ai éprouvé en la lisant du haut de mes huit ans, car ce devait être la première fois que je devais être confrontée à la morale d’une histoire ni gaie, ni triste, un peu entre les deux, juste d’un joyeux désenchantement. Je ne sais pas pourquoi mais ce sentiment joyeux et triste à la fois m’est revenu en découvrant HabemusPapam de Nanni Moretti. Mais la conjonction entre Lucky Luke et Moretti, c’est aussi de mettre en scène et d’explorer la frontière ténue entre la concrétisation d’un rêve et l’acceptation de son renoncement, lisière qu’arpente également le Moretti.

De ce film, on pouvait tout attendre : charge satirique sur l’Eglise et les arcanes de l’élection papale, confrontation intellectuelle et verbeuse entre psychanalyse et religion, âme et inconscient (voire une déclinaison mystico-comique du Discours d’un Roi ?). Et sa grande force, c’est de jouer, de prime abord, sur ces différents tableaux mais de manière fine et allusive (et franchement hilarante) pour mieux se concentrer sur son véritable cœur : un démontage malicieux et espiègle de l’illusion et de la croyance, artifices nécessaires contre le désarroi. L’art de Moretti, ce n’est ni plus ni moins que celui de la fantaisie baroque (remplie de surprises, de bifurcations et de fantaisie), jouée ici sur un mode musical, voire sautillant qui allie la sobre gravité d’Oliveira à la fantaisie d’Iosseliani. En témoigne aussi la discrète assurance scénographique de l'ensemble qui éclate dans de splendides scènes dans et sur le théâtre qui entremêlent interrogations sur la vocation d'une vie et délires d'acteurs fous .

Bon, alors, Habemus Palma ? On va voir, mais dans les films de l’Officielle, voilà au moins celui qui a réellement lancé le festival, tout habité par un esprit pas si éloigné de celui d’un certain Saint qui parlait aux oiseaux.

Moretti, héritier de Pasolini ? Après le pèlerinage hommage sur la tombe de PPP à Ostie dans Journal Intime, il y a indéniablement quelque chose d'Uccellacci et Uccellini dans Habemus Papam.

Une belle musicalité qui, à elle seule, fait tenir tout un film, on la retrouve aussi dans La guerre est déclarée de Valérie Donzelli. Maintenant qu’un certain bruit entoure le film, il est peut-être inutile de rappeler le pitch auto-fictionnel (la lutte d’un jeune couple contre le cancer de leur –très jeune- enfant), mais il faut peut-être préciser que si le film gagne la partie, il le doit, entre autres, aux splendides scènes de fête qui l’ouvrent (enfin presque) et le clôturent (enfin presque, là aussi), et dont les ambiances et la somme de micro-évènements qui en constituent la sève et la dynamique sont particulièrement bien rendues.

Première fête : un regard complice, une rencontre, et sous ses auspices du coup de foudre, prélude à un film qui, placé sous le signe de l'élan amoureux, démarre au quart de tour. Dernière fête : ambiance enjouée mais plus fatiguée, « open kisses », baisers volés et envolés, et surtout une dernière chanson fredonnée entre pleurs et sourires, celle-là :

Ce qui est si beau, c’est la façon dont les sentiments qui alimentent ces deux scènes, mixent éphémère et gravité, futilité et permanence. Car autant que l’épreuve d’un couple face à la maladie, le prix de « La guerre est déclarée » est de rendre palpable toute l’histoire sentimentale d’un couple, du coup de foudre originel au passage à un autre état relationnel issu d'une épreuve commune, et qui sorte des schémas binaires: ni "plus fort face à l'injustice", ni "dévasté par le tourbillon" mais une relation nouvelle, solidaire et complice, mais toujours indécise et funambule. Une relation qui se dessine bien mieux par l'écume des chansons, des rires, des blagues et des engueulades que par de la petite psychologie appliquée."L'amour est à réinventer" disait le poète. "Vive l'amour ! " répondait le cinéaste. Deux impératifs que les petites touches graves et joyeuses de Donzelli paraissent constamment garder en tête, pour mieux proposer son propre romanesque du quotidien.


Retour à La Une de Logo Paperblog