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Le monstre vert

Publié le 19 mai 2011 par Ctrltab

Le monstre vert

- Et tu peux m’expliquer ces taches rouges à l’arrière ?

- Oh, ce n’est rien, boss. J’ai juste pris une femme sur le point d’accoucher.

- Ah oui, vraiment ? Elle perdait les eaux ou du sang ? Tu veux parler d’une fausse-couche, non ?

- Oh, vous savez, je l’ai conduite à l’hôpital. Le reste, après, ça ne me regarde pas.

- Il y a des ambulances pour ça. Tu sais combien ça vaut une banquette en cuir ?

Quand je suis en faute, je n’y peux rien. J’ai besoin d’inventer une autre vérité. Le mensonge me colle à la peau. On ne se défait pas si facilement de ses vieilles habitudes. Petit déjà, je changeais de nom au gré de mes interlocuteurs. Dans la famille de mon père, là-bas, au pays, j’étais Wajdi Kessous. À l’école, en France, ma mère m’inscrivait sous son nom, celui de Paul Brenner. « Pose pas de question, Pépète – c’est ainsi qu’elle aimait me surnommer -, tu verras, ça sera plus facile. » Bien sûr, je suis devenu tout naturellement mytho et schizo…

- J’ai eu pitié, Niels, je n’ai pas pu faire autrement.

- Tu me penses assez con pour avaler tous ses bobards ? Ça suffit, les clefs, Wajdi.

- Je vous en prie, Niels, désolé si j’ai eu du retard. J’avoue, j’ai eu un petit pépin cette nuit.

Que voulait-il que je lui disse encore ? Que je m’étais fait avoir comme un bleu ? Et même pire, que j’avais dû frapper une gonzesse ? J’en étais arrivé là, oui, moi… La chouma !

- Rends-moi les clefs de la voiture et dégage !

- Je suis clean, je vous assure, je bosse comme un taré. Je ne touche plus à rien. Donnez-moi une dernière chance ! J’ai vraiment besoin de ce fric.

- Écoute. Je n’ai pas envie de défoncer davantage ta petite gueule. On dirait qu’elle a suffisamment pris cette nuit. Tes emmerdes, tes craques de taulard, je m’en branle. Je prends trop de risques avec toi. J’ai autre chose à faire que protéger des crevards dans ton genre. Tu es irrécupérable. Un déchet, une épave, voilà tout. Dehors et vite !

Niels a claqué les doigts, ses colosses ont fait irruption. Je suis parti la queue entre les jambes et… sans taxi. J’avais joué ma dernière carte, en vain. Quel con mais quel con d’avoir voulu bluffer le chef de la pègre ! Il ne me restait plus qu’à rentrer et me pendre. Rue des mauvais garçons, il n’y a pas meilleur endroit pour se perdre à tout jamais, non ?

J’ai gravi les marches de mon immeuble bancal, égrenant à chaque étage mes échecs. Tous mes efforts de ces derniers mois n’avaient donc servi à rien. J’ai poussé le cœur lourd la porte de chez moi.

En un clin d’œil, j’ai vu que quelque chose n’allait pas. La fenêtre était ouverte, le punching-ball oscillait, les tiroirs de mon bureau étaient entrouverts. Quelqu’un s’était introduit. Pourquoi ? J’ai pensé à ma femme. Que cherchait-elle encore à prouver, cette salope ? La garde exclusive de nos filles, Aurore et Céleste, ne lui suffisait-elle donc pas ? Les flics alors, ces chercheurs de merde ? Mais n’avais-je pas acquitté ma peine ? Qui d’autres ? Mes anciens frères dealers ? Ne nous nous étions pas suffisamment expliqués ? Toutes mes casseroles me sont remontées à la figure et j’ai vomi tout mon passé.

Pour me défouler, j’ai tenté une pâle imitation de Niro dans la glace, celle qui nous faisait rire à nos quinze ans passés. You’re talking to me ? Oui, toi, le « monstre aux yeux verts qui se nargue de la proie dont il se nourrit ? » D’où cette phrase me sortait-elle ? J’ai pris mes gants, j’ai tambouriné mon ombre.


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