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J’enlève le haut

Publié le 26 mai 2011 par Ctrltab

J’enlève le haut

A la fenêtre, un de mes maillots sèche. Fin de journée. La fraîcheur de la montagne reprend ses droits sur la torpeur de l’après-midi. Les derniers pédalos et catamarans rentrent. Avec eux s’évanouissent les rires des enfants. Le lac tourne à l’indigo. Ou plutôt au bleu nuit, ma couleur préférée.

Je suis quasi nue, en slip. Je ne trouve pas le haut de mon deux-pièces. Où l’ai-je mis ? Nos valises gisent encore béantes par terre. Je farfouille et tente de faire le tri entre les fringues de Pierre et les miennes. Familiarité des habits et étrangeté du lieu. Vieil appartement rance, au papier peint rassis, que l’on n’ouvre que pour les saisons et les touristes de passage. En l’occurrence, nous. Quelle idée de venir s’enterrer ci ? C’est Pierre qui l’a voulu.

«  Tu te rappelles du lieu magique où je faisais mes saisons, étudiant ? Eh bien, grande nouvelle, le maire nous y invite cet été. Il nous prête l’appartement juste au-dessus de chez lui. Tu vas adorer, c’est au bord du lac ! »

J’ai la chair de poule. Le soleil décline. Si ça continue, je vais rater mon coucher de soleil au ras de l’eau. Et si je sortais les seins à l’air ? Ca rincerait les yeux de Monsieur le maire, non ? Me traiterait-il moi aussi de chaudasse ? Nostalgique de sa splendeur passée dont il se vantait tant hier soir…

Les mots assassins de la veille résonnent encore en moi. Amers. Ma dispute violente avec Pierre suite à l’apéro chez Mr le maire et sa femme. Eclats.

- Quel con mais quel con !

-  Ne sois pas méchante. C’est sa manière d’être. Un peu bourru, un peu misogyne. Il se cache, c’est tout. Au fond, c’est d’une grande sensibilité, d’une immense culture et d’une profonde intelligence.

- Attends, il ne trouve qu’à cancaner sur tout le monde et à faire des blagues salaces. Et pour lui, c’est simple, toutes les femmes sont des salopes !

- C’est un petit milieu. Tu vois bien. Des gens de la montagne, isolés. Ne te fie pas aux apparences !

- Il ne m’a même pas adressé la parole !

-  Ecoute, il a le cancer. C’est un vieux Monsieur maintenant. Une autre génération. Laisse-le un peu s’émoustiller comme il peut. Et puis, tout ne peut pas toujours tourner autour de ton petit nombril.

Dans la nuit, j’ai prétexté des moustiques pour aller dormir dans la chambre d’à-côté. Celle dont la vue ne donne pas sur le lac impavide mais sur la rue animée. Je préfère les bruits de ville, ils me rassurent, me bercent. Bien sûr, il n’y avait pas d’insecte, juste ceux vrombissant dans ma tête. A mon réveil, Pierre était parti. Cela ne lui ressemble pas. Est-il toujours fâché ? Je l’attends depuis.


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