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L'incroyable destin de Clarisse Manzon (21)

Publié le 07 juin 2011 par Mazet

L’incroyable destin de Clarisse Manzon (21)

Le lendemain, nous étions exacts au rendez-vous du préfet. Je savais bien que dans Rodez, les ragots allaient bon train. Beaucoup m’enviaient, d’autres me plaignaient, mais je n’avais que faire de leur jugement. Le comte d’Estourmel, qui n’était sans doute pas un mauvais homme, mais qui se voyait confier une basse besogne, avait grande allure. Son charme et ses bonnes manières subjuguèrent Clarisse dès les premiers instants. Il était un des rares à avoir compris la manière dont il fallait s’y prendre avec Clarisse. Il la reçut avec grâce et politesse. Il employa la plus grande douceur pour lui faire avouer qu’elle était dans la maison Bancal. Il lui assura que le lieutenant Clémendot, dans sa déposition, avait parlé d’elle en termes très respectueux et qu’il était loin d’avoir tenu les propos dont on l’accusait.

Cependant, Clarisse resta impassible :

   - Monsieur le préfet, répondit-elle avec timidité. Je voudrais bien vous dire que j’étais dans la maison Bancal, mais cela serait un mensonge. J’ai seulement cherché à intriguer Monsieur Clémendot par une histoire insensée.

   - Vous ne pouvez pas avoir fabriqué une histoire pareille de gaité de cœur.

   - On m’a dit que Monsieur Clémendot avait déposé que je lui avais parlé de Bastide et Jausion. Mais, leurs noms ne sont jamais sortis de ma bouche ; cela seul va conduire ces messieurs à l’échafaud. Cinq témoins vont soutenir au débat que Monsieur Clémendot leur a affirmé ce fait au café, je le tiens de l’un deux et l’on ne doute d’après cela, que je fusse effectivement présente à l’assassinat, que Bastide ait voulu m’égorger et que Jausion m’a sauvée.

Clarisse ne se trompait pas. Le jour du procès sept personnes affirmeront s’être trouvées au café du Coq, lorsque Clémendot a mis nommément en cause Bastide-Gramont et Jausion. Mais pour l’heure, le préfet cherchait d’abord à faire avouer à Clarisse sa présence dans la maison Bancal. Il recommença calmement à la presser de faire des aveux. Il jura que Clémendot n’avait cité aucun nom. Selon lui, cet officier « plein d’honneur » ne pouvait avoir inventé cette fable. Clarisse allait se trouver dans un sérieux embarras, si elle continuait à nier. Son frère allait devoir affronter, l’épée à la main le terrible lieutenant, tandis que son père allait l’attaquer en calomnie et commencer un procès qui pourrait ruiner sa famille. Contre vents et marées, Clarisse tint bon et nous quittâmes la préfecture après avoir essuyé de nouvelles menaces. Mais le plus dur restait à venir. Comme elle m’avait invité à passer la soirée chez elle, j’allais assister à une scène que je ne suis pas prêt d’oublier. Le président Enjelran débarqua chez sa fille, la mine renfrognée. Sans prendre le temps de nous saluer, il l’agressa de manière odieuse, la traitant de catin de chez la Bancal. A bout d’arguments, il joua de la sensibilité et de la fibre familiale. Son frère serait sûrement tué en duel par le lieutenant Clémendot. La chair de sa chair,  son petit Edouard lui serait arraché, la ruine et la misère se profilaient. A bout de nerfs Clarisse, s’effondra en larmes et écrivit au préfet qu’elle était prête à lui « dévoiler un mystère impénétrable pour tout le monde ». Dans la matinée qui suivit, Clarisse fit amende honorable et convint de tout.  Mais par amour-propre, elle nuança les circonstances de sa présence sur les lieux du crime. Dans la soirée du 19 mars, disait-elle, elle cheminait par le plus pur des hasards dans la rue des hebdomadiers, lorsqu’elle se trouva au cœur d’une tourmente soudaine et comme aspirée dans la maison bancal.  Une ombre l’aurait poussée dans un cabinet vitré où elle se serait évanouie. Lorsqu’elle revint à elle, un homme la tira par le bras et c’est alors qu’elle se retrouva au milieu d’une assemblée de fantômes. Terrorisée, Clarisse s’était enfuie en courant et avait trouvé refuge sous l’escalier du couvert désaffecté de l’Annonciade.


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