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Réforme de l’hospitalisation sans consentement : « étonnement et profonde inquiétude »

Publié le 08 juin 2011 par Lana

« J’aimerais  tellement qu’on comprenne la signification de ce que je dis :   ça peut arriver à tout le monde. Et c’est scandaleux que des gens soient malades et qu’en plus, comme cela existait, chers amis, il y a encore quelques années pour les cancers, non seulement le malade souffrait mais en plus il devait s’en excuser, le cacher. C’est inadmissible. Ça peut arriver à tout le monde : d’être victime d’une dépression, de devoir avoir à faire à un psychiatre. Tout ceci, la société française doit ouvrir les yeux et son cœur sur cette maladie. »

Voilà ce que nous disait le 21 octobre 2009, le président de la République qui voulait  honorer à travers nous les personnes concernées par cette discipline médicale.

Elus par nos pairs, usagers et médecins, nous travaillons depuis douze ans ensemble à améliorer le sort des personnes souffrant de troubles psychiques dans notre pays.  Ce partenariat fructueux nous a ainsi permis d’élaborer la charte de l’usager en santé mentale cosignée en 2000 avec la ministre de la santé.  Nous avons contribué à améliorer les conditions d’accueil, à promouvoir des soins somatiques adaptés à des personnes dont le corps est souvent négligé et source d’angoisse, à définir des critères d’évaluation de la qualité des soins et des modalités de financement.

Nous avons aussi abordé sans angélisme les questions de dangerosité et de sécurité liées à la maladie, développé « des groupes d’entre aide mutuelle » pour aider les patients à sortir de leur isolement et surtout inscrit notre démarche dans un dialogue constant « usagers-professionnels » à tous les niveaux institutionnels.

C’est dire, si nous avons été sensibles aux paroles prononcées ce 21 octobre 2009 par la plus haute autorité de l’Etat demandant à la société française « d’ouvrir ses yeux et son cœur sur cette maladie ». Oui, « ça peut arriver à tout le monde », et tu sais au fond de toi, cher concitoyen, que toi aussi, tu as failli basculer dans l’angoisse ou la dépression,  ces mondes où la passion vient submerger la raison, et où l’homme se sent perdu dans une indicible souffrance.

Et, parfois, cette souffrance est si intense que la maladie devient comme l’un de ces cauchemars où l’on essaie d’appeler au secours sans y parvenir ; ou si l’on y parvient, sans personne pour entendre.  A cette situation de vulnérabilité extrême, qui ne permet plus de demander de l’aide, toute société civilisée doit s’efforcer de répondre par des soins particuliers dans la mesure où ils vont devoir être momentanément pratiqués contre le gré de la personne concernée.

Alors que la loi du 4 mars 2002 insiste sur l’importance du consentement éclairé du patient qui prend les décisions concernant sa santé, tu comprendras, cher concitoyen, que l’on touche là au cœur de métier du psychiatre.  Priver une personne de sa liberté individuelle n’est légitime que si le soin est nécessaire et indispensable  pour restaurer chez elle les espaces de liberté psychique invalidés par la maladie.

Et ce n’est pas une situation figée, il est crucial de le comprendre. La nécessité d’un soin sans consentement doit se réévaluer en permanence, dans une perspective évolutive. La démarche soignante est toujours guidée par ce souci constant de la recherche d’une alliance thérapeutique. A terme, tout doit tendre à permettre la levée de la contrainte, pour un patient qui fait désormais confiance à l’équipe qui le prend en charge. Si nous savons que la maladie peut porter la violence sur soi ou sur autrui, surtout lorsqu’elle n’est pas soignée, nous savons aussi qu’il n’y a pas de malades violents mais des moments de violence dans des  périodes critiques de l’évolution de leur pathologie.

ÉTONNEMENT ET PROFONDE INQUIÉTUDE

La loi votée par nos parlementaires touche à l’organisation des soins dans cette situation extrême. Le sujet est grave et il est temps pour nous, cher concitoyen, de te faire part de notre étonnement et surtout de notre profonde inquiétude.

Etonnement, car nous avons déjà exprimé, dans un communiqué commun aux usagers et aux professionnels, la nécessité de faire évoluer le texte proposé aux parlementaires. Madame Nora Berra, secrétaire d’Etat à la santé, après avoir souligné lors de son audition publique au Sénat du 13 avril le caractère constructif de nos demandes, n’a paradoxalement soutenu aucune de nos propositions.

Etonnement qui confine à la stupéfaction, devant les propos de la même ministre se prévalant à plusieurs reprises de notre adhésion au projet de loi (comme lors de l’émission « Du grain à moudre » du 9 mai, la veille de l’examen de la loi au Sénat), dans une lecture pour le moins très personnelle de notre communiqué auquel il suffit de se référer pour mesurer les réserves majeures qui y sont formulées.

Ainsi, comment peut-on qualifier de soutien au projet de loi des mises en garde telles que : « la loi, si elle était promulguée en l’état, serait inapplicable dans un grand nombre d’établissements, tant par le juge des libertés et de la détention que par les directeurs des hôpitaux concernés, ou les psychiatres hospitaliers » ?

Profonde inquiétude car l’absence totale de prise en compte de mesures pragmatiques de bon sens demandées par les quinze signataires, annonce sans nul doute le désordre dans un domaine dont chacun sait qu’il n’est pas sans risque au regard de la population concernée, population dont les soins requièrent avant tout calme et sérénité.

A titre d’exemple, il faut que tu saches, cher concitoyen, qu’en cas de divergence entre la prescription médicale et la décision administrative du préfet, notre demande de recours systématique au juge des libertés et de la détention n’a pas été reprise dans la loi. Si bien qu’en France, dans les semaines qui viennent,  une personne  (toi ou un de tes proches peut-être) pourra rester hospitalisée à la demande du préfet alors que son état de santé ne le nécessite plus.

Nous ne pouvons accepter, comme tous les usagers et professionnels de la psychiatrie, que dans notre pays, un citoyen soit maintenu à l’hôpital pour d’autres raisons que pour y être soigné.  La France du XXIe siècle ne peut tolérer le retour à la lettre de cachet  pour les malades psychiques !

Voilà une loi qui n’envisage l’usager en santé mentale qu’en termes « d’individu dangereux » que l’on prétend contrôler par une multiplication de procédures d’expertises. Les examens réitérés n’ont pas pour objet de traiter, mais d’évaluer, sans tenir compte de l’effraction dans l’intimité psychique.  On oublie qu’il s’agit avant tout d’une personne dont il faut soulager la souffrance par des soins. On oublie que cette personne, dans l’immense majorité des cas, va peu à peu voir son état s’améliorer, comprendre qu’elle a besoin de soins et les accepter. Ce que l’on imposera à une personne profondément dépressive, accepterait-on de l’imposer, par exemple à une femme atteinte d’une maladie physique ? Imagine-t-on cinq à six examens imposés à l’intime du corps en quelques jours, sans objectif thérapeutique ?

C’est pourquoi la loi ne peut pas dissocier l’organisation des soins sans consentement de celle des soins demandés par le patient, deux registres thérapeutiques qui doivent être envisagés comme deux moments du parcours de soins d’un même patient. C’est bien d’une loi globale de psychiatrie et santé mentale dont notre pays a besoin. Cette loi, promise, le 8 janvier 2009 par le président de la République aux représentants des usagers et professionnels, et dont la nécessité a été soulignée par plusieurs rapports (Larcher, Couty, Milon) doit s’appuyer sur ce qui fait la spécificité de la psychiatrie française, et que nous savons reconnue hors de nos frontières, le « secteur » qui permet à tout patient sur le territoire l’accès à des soins de proximité.

Surtout il faut que tu saches, cher concitoyen, que l’un des grands acquis de la psychiatrie moderne est fondé sur la persistance, même chez la personne la plus malade, d’une partie saine sur laquelle doit se construire la démarche de soins : alliance avec cette partie saine contre la maladie qui en tissant un climat de confiance constitue, comme tu peux le comprendre, le meilleur levier thérapeutique.

Il se trouve qu’il y a précisément 500 ans, en 1511 était publié L’Eloge de la Folie, best-seller de l’époque écrit par Erasme, figure emblématique de l’humanisme à la Renaissance qui proclame que la folie est l’apanage de l’humanité. Il est si vrai que le degré de civilisation d’une société se traduit toujours par la façon dont elle traite ses fous.

500 ans après Erasme, 200 ans après Pinel et Pussin, qui libérèrent les aliénés de leurs chaînes, cinquante ans après la création du secteur, de quelle loi notre pays veut-il se doter pour la psychiatrie ?

Cher concitoyen, quelle psychiatrie veux tu pour toi et pour tes proches ?


La Fnapsy est la Fédération nationale  des associations d’usagers en psychiatrie et la CME-CHS est la Conférence nationale des présidents des commissions médicales d’établissement  des centres hospitaliers spécialisés.

Claude Finkelstein, présidente de la Fnapsy, et Yvan Halimi, président de la CME-CHS

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/08/reforme-de-l-hospitalisation-sans-consentement-etonnement-et-profonde-inquietude_1533183_3232.html


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