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Le Curé d'Ars

Publié le 12 juillet 2011 par Voilacestdit

Le hasard d'une balade dans la Dombes m'a fait passer par Ars-sur-Formans, village plus connu sous le simple nom d'Ars, à cause de celui qui fut son curé de 1818 à 1859, Jean-Marie Vianney - dit le Curé d'Ars - canonisé en 1925.
Qu'est-ce qui pouvait m'inviter à faire pareil détour ? La curiosité d'avoir appris que Ars était le lieu le plus visité de l'Ain  - comptant plus de 500000 visiteurs par an ? Que viennent chercher ces visiteurs ? Certains sans doute sont mus par des motifs religieux - mais est-ce la majorité ?
Le Curé d'Ars est une personnalité de la Dombes - toute région comme l'Ain a son Panthéon, a à coeur de célébrer ses "grands hommes". Le Curé d'Ars, connu dans le monde entier, est reconnu à ce titre.
Pourtant, rien n'est plus loin de la personnalité de Jean-Marie Vianney que cette qualification de "grand homme".
Jean-Marie Vianney était-il instruit - à l'instar de son compatriote Brillat-Savarin, né à Belley en 1755, mort à Paris en 1826 ? - assurément  non !   Autant Jean Anthelme Brillat-Savarin, issu d'une famille bourgeoise, reçoit une belle éducation - il étudie le droit, la chimie et la médecine à Dijon - avant de s'installer dans sa ville natale pour pratiquer le droit ; autant Jean-Marie Vianney fait figure de démuni : né dans une famille de cultivateurs originaire de Dardilly, près de Lyon, il n'aura aucune éducation avant ses 17 ans, la commune étant restée sans instituteur depuis le début de la Révolution - jusqu'en 1803. Au grand séminaire de Lyon, très peu instruit, il sera un élève médiocre.
Parle-t-il bien ? encore non ! Alors que Brillat-Savarin, envoyé comme député du tiers état pour le bailliage du Bugey aux États généraux, se distingue par ses discours à la Constituante, puis à l'Assemblée nationale - le curé d'Ars a bien du mal à ficeler ses sermons, à l'aide de sermonnaires dans lesquels il puise sa matière qu'il met maladroitement en forme. En 1846 - le curé d'Ars est une célébrité - un libraire s'apprête à publier ses sermons ; l'évêque de Belley l'en dissuade, évoquant "des erreurs, des obscurités, des longueurs inutiles, sans compter les fautes de français". On est loin de Brillat-Savarin, qui publie, en décembre 1845, deux mois avant sa mort, sa Physiologie du goût, qui deviendra un best-seller de l'époque.  
Notre curé sait-il au moins vivre bien ? Non ! Il pratiqua de sévères mortifications ; il avait la réputation, dans son village, de se nourrir de très peu, et aussi de ne dormir quasiment pas ; son visage est émacié, son corps maigre, il n'a, comme on dit, que la peau sur les os. Brillat-Savarin incarne, lui, l'hédoniste, vantant dans sa Physiologie le bien manger, la gastronomie : "Livre divin, écrivait Hoffmann, qui a porté à l'art de manger le flambeau du génie".
Alors, qu'est-ce qui attire chez ce modeste curé que, très vite, dès les années 1830, jusqu'à sa mort on vient voir, en pèlerinage, de partout ? Quelle est l'énigme Vianney ? Seraient-ce les mises en scène de diableries, dont on entend confusément parler, qui exercent, de façon peut-être douteuse, un irrésistible pôle d'attraction ? Le diable a certes plus d'un tour dans son sac mais l'heure n'est pas aux leurres.
La vérité est à chercher du côté d'une exceptionnelle vie intérieure, qui le dévorait, le brûlait - au point que son lit prit feu, une nuit ; ce qu'il attribuait, lui, au diable : "Le démon n'a pas pu brûler l'oiseau, il n'a brûlé que la cage", dit-il non sans humour. Démuni, petit, à mains nues, sans défenses, le voilà entièrement donné à cette vie intérieure forte, brûlante, débordante, capable de se communiquer aux autres par son excès, comme la flamme par l'étincelle.
Comme les êtres exceptionnels, il aura été, en vérité, un "passeur" - qui fait franchir des  frontières décisives. Il avait sans doute, dans son confessionnal où il lui est arrivé de passer dix-sept heures d'affilée, tant le monde se pressait pour s'ouvrir à lui, des paroles utiles aux autres. Bernanos l'aura bien compris qui fait dire, dans son Journal d'un curé de campagne, au curé de Torcy : "La parole de Dieu ! c'est un fer rouge. Et toi qui l'enseignes, tu voudrais la prendre avec des pincettes, de peur de te brûler, tu ne l'empoignerais pas à pleines mains ? Laisse-moi rire. Un prêtre qui descend de la chaire de Vérité, la bouche en machin de poule, un peu échauffé, mais content, il n'a pas prêché, il a ronronné,  tout au plus [...] Je prétends simplement que lorsque le Seigneur tire de moi, par hasard, une parole utile aux âmes, je la sens au mal qu'elle me fait" [Journal, Oeuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, pp.1071-1072].
Telle fut, sans doute, la véritable passion du curé d'Ars.
Il n'est plus là pour nous communiquer sa flamme, pour produire la parole aidante du "passeur". Mais les lieux, conservés en l'état, gardent la trace de sa présence, sont "habités" telles les demeures d'écrivains inspirés - comme Malagar, la propriété bordelaise de François Mauriac, dont il écrivait : "Je remonterai longtemps après ma mort cette charmille ; je m'accouderai encore en l'an 2000 à cette terrasse..." - demeures dont les pierres "palpitent d'une sourde vie".


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