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25 juillet 1928 | Naissance de Joyce Mansour

Publié le 25 juillet 2011 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

   Le 25 juillet 1928 naît à Bowden, en Grande-Bretagne, Joyce Patricia Adès, plus connue sous le nom de Joyce Mansour.

  Née dans une famille égyptienne de culture française, Joyce Mansour, cavalière talentueuse, est une passionnée de sport, spécialisée dans le saut en hauteur et championne d’Égypte du 100 m. Elle se rend en France dans les années cinquante. Sa fréquentation à Paris des surréalistes, sa découverte de l’écriture automatique, son goût pour un érotisme funèbre font appartenir l’« étrange demoiselle » (c’est ainsi qu’elle se définit elle-même) à la lignée de Leonor Fini et de Leonora Carrington.
  En 1953, la publication de son premier recueil, Cris, est salué par André Breton. Dès lors, les publications de poèmes et de récits se succèdent. Déchirures (1955), Jules César (1956), Les Gisants satisfaits (1958), Rapaces (1960), Carré blanc (1965), tout imprégnés qu’ils soient de l’univers cher à André Breton, hurlent les revers déchirants de « l’amour fou ». Touchés l’un et l’autre par le rejet instillé par les blessures subies, l’homme et la femme s’y écorchent dans un processus d’autodestruction dont rend compte l’imagerie débridée et quasi cauchemardesque à laquelle Joyce Mansour fait appel. Irrévérencieuse et maléfique est l’écriture de cette « grande prêtresse du corps féminin ». Convulsive et barbare.


  Dans Ultime Belvédère (Fata Morgana, 2003, pp. 25-26), André Pieyre de Mandiargues écrit à propos de Cris :


  « Madame Joyce Mansour se signale dès l’abord par une violence que l’on dirait provocatrice, mais que je crois tout à fait innocente. Son érotisme, acharné puis décharné sans aucun repos, se colore de nécrophilie ; il est amusant de retrouver dans plusieurs cris un thème trouvé déjà dans les vieilles Danses macabres, dans Rutebeuf, dans Maynard, chez les marinistes romains et napolitains du XVIIe siècle, dans Baudelaire (et beaucoup d'autres), et puis de voir ce thème épanoui comme dans un chant arabe, lorsque Joyce Mansour, s'adressant à une « charogne », lui dit enfin:
  Et pourtant c’est ainsi que je t’ai préférée Ma fleur.

  Le sang, la sueur, les miasmes de toutes sortes ont un climat fiévreux, accordé à la mort (petite ou grande). L’humour n’est jamais loin; le sourire éclaire les lieux les plus désolés, les caprices les plus cruels, comme dans un jeu de noirceur enfantine. À l’arrière-plan, voici des objets et des êtres communs à tous les pays de l’Orient méditerranéen : tombeaux, débris, ordures, mouches, chiens errants, chauves-souris, échassiers sur des ruines.

   Les jambes ailées de la vieille bossue
  Perchée sur le clocher tendu en deux
  Les chats volants sans queue ni cri
  Dans mon lit je cherche à comprendre
  Le sang qui sort de mon ventre ému.


  Cette voix un peu rauque, ces images brutales font assurément de Madame Joyce Mansour, selon ses propres mots: une étrange demoiselle. »


JULES CÉSAR, incipit

  Ils étaient nés ensemble à Sodome d’une vache et d’un fossoyeur après deux heures de travail bien arrosées de bière. Ils se retrouvèrent entre les draps humides et rarement lessivés du lit paternel et regrettèrent presque aussitôt la chaleur de l’étreinte utérine. Ils gouttèrent aux délices des sécrétions rénales continues, la liberté du nombril les enchanta et, cramponnés aux mamelles gorgées de miel de leur nourrice Jules César, ils se jurèrent avec des babillements sucrés de boire tout le sang du monde. C’étaient des enfants normaux.
  Le père pencha sa tête simiesque sur le champ de bataille où sa femme se débattait contre les jumeaux et les derniers soubresauts de son mal et s'en alla, braguette ouverte et mal rasé, gagner le pain familial à la sueur de son front, entouré de pleurs, de cadavres et de vers pour cénotaphes.
  Tout se passa sur une montagne grande comme la France, cernée de lacs, de nuages à tête d'homme et de pays ennemis. De braves villageois y vivaient en paix avec leurs goitres et leurs bêtes, sans penser au lendemain, tandis qu’ils vendaient le sang de leurs veines aux hôpitaux ambulants en même temps que des horloges. Le soleil vernissait les lacs, les prés étaient riches en vaches; les enfants apprenaient leurs leçons sur des balcons suspendus au bord de précipices souriants, habillés comme des écoliers parisiens mais avec le dialecte guttural des montagnes dans leurs bouches bien beurrées.
  Le soir, tout le monde dansait aux sons du sanatorium et le sperme coulait dans les rues; évidemment tout était arrangé pour attirer les touristes.
  Comme toute mère qui a abrité des enfants neuf mois sous son corset avec amour, la mère ne pensait plus qu'à sa taille retrouvée et aux robes presque remettables qu'elle porterait dès que ses muscles relâchés répondraient à l'appel. Elle qui avait caressé ce ventre toujours grandissant, qui l'avait montré avec ierté aux parents, qui l'avait dissimulé avec adresse aux amants, elle qui avait nourri cette rumeur mouvante de sa graisse, qui l'avait aérée, masquée, barbouillée de rouge les jours de fête, trempée dans les torrents pour noyer le mauvais œil, elle ne songeait plus qu'à le faire totalement disparaître, jusqu'à se priver de toute nourriture
avant le petit déjeuner.
  Ignorante de toute notion d'hygiène, elle aurait laissé les jumeaux mourir de saleté et de faim plutôt que de bouger un doigt enrubanné. Heureusement, il y avait Jules César.

Joyce Mansour, Jules César in Histoires Nocives, Éditions Gallimard, Collection « L’Imaginaire », n° 518, 1973, pp. 13-14.



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