Magazine Journal intime

Alain Robbe-Grillet

Publié le 21 février 2008 par Stella

Comme tout le monde, l’année du bac il m’a fallu lire Les Gommes. J’avais un a priori favorable, car j’aime les romans policiers et, à l’époque, mon professeur de français - une petite blonde malicieuse et très cultivée - avait eu la bonne idée de prévenir nos éventuelles aversions en vantant la qualité du suspense. Bien lui en a pris… ce fut pour moi une révélation. Dès lors, j’ai visité avec délectation les méandres du nouveau roman, genre depuis fort décrié. L’apogée de ce voyage fut, sans aucun doute, la lecture de La Modification, de Michel Butor, un voyage en train entre Paris et Rome. Mais j’en reparlerai, à l’occasion…

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En attendant, je porte de deuil d’Alain Robbe-Grillet, magnifique auteur des Gommes, mais aussi du Voyeur et de La Jalousie, mort le 18 février des suites d’un accident cardiaque. Il avait 85 ans. Les portraits, seuls vestiges visuels qui nous restent désormais de ce personnage autant admiré que détesté, traduisent - lorsqu’ils sont bien fait - sa vivacité intellectuelle et son intelligence narquoise, voire belliqueuse. Son regard déshabille l’intrus, et plus encore l’intruse qui ose le défier en l’attaquant de face, les yeux dans les yeux et l’on devine d’un coup l’océan retors qui se cache sous les plis des paupières et dans ses pattes d’oie malicieuses. Il faut l’avoir entendu parler, par exemple chez Bernard Pivot au siècle dernier, pour apprécier à sa juste valeur sa voix de basse veloutée aux accents gutturaux. Irrésistible.

Né à Brest en 1922, petit-fils d’instituteur, études à Paris et diplômé de l’Institut national d’agronomie en 1945, Robbe-Grillet écrit un premier roman en 1949, Un régicide, refusé par Gallimard. Décidément, depuis Proust, Gallimard n’en rate pas une ! Ce ne fut heureusement pas le cas de Jérôme Lindon, qui publie avec enthousiasme Les gommes en 1953 aux éditions de Minuit et engage l’individu comme lecteur puis comme conseiller littéraire. Epique époque.

Deux ans plus tard, il obtient le prix des Critiques pour Le Voyeur, fort du soutien de Georges Bataille, Jean Paulhan et Maurice Blanchot, Georges Lambrichs (exceptionnel éditeur à la tête de la NRF, eh oui) et Roland Barthes. Excusez du peu. Chef de file autoproclamé du Nouveau Roman, mouvement littéraire qui s’interroge sur la place du narrateur dans l’oeuvre, il défie les auteurs balzaciens et risque l’illisible avec désinvolture. Sa technique est particulièrement visite dans Les Gommes, où le narrateur se déplace dans la conscience de tous les personnages. Nathalie Sarraute, quelque temps plus tard, explorera les objets (il faut lire sa description d’une porte dans Le Planétarium) et Francis Ponge prendra carrément Le Parti-pris des choses.

Robbe-Grillet avait une dimension supplémentaire qui le rendait humain, très humain même, c’était son approche du sexe, des corps, de la chair. Il avait mis en image ses obsessions érotiques avec un premier film, L’Année dernière à Marienbad, réalisé par Alain Resnais puis dans des longs métrages tournés par lui-même, au premier rang desquels figure L’Immortelle, prix Louis-Delluc en 1963, à voir absolument.

J’aime davantage le Robbe-Grillet des années 1950, 1960 et 1970 que celui d’après. Son talent se dilue dans un discours plus polémique, voire un peu vain. Il ne sera pas l’homme du XXIème siècle mais il est déjà tellement celui du XXème que c’est sans importance. Il reste l’un des écrivains les plus marquants de ma jeunesse littéraire et j’adresse mes condoléances respectueuses et attritées à Jeanne de Berg.


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