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C'est dans la poche

Publié le 09 septembre 2011 par Jeff @DagenaisJF
C'est dans la pocheL'entrevue était prévue pour 9h30 ce matin (jeudi le 8). Je suis arrivé un peu plus tard. Je m'étais pourtant assuré de prendre de l'avance.
J'ai donc quitté la maison vers 8h50 et je suis arrivé tout de même avec un retard. Il était 9h40. Pas de trafic sur la 20 Est mais une rue fermée pour des travaux et une obligation de détournement. 
De plus, j'ai dû faire un autre détour : le panneau de la rue (que je devais prendre à gauche) était placé carrément à ma droite, à l'opposé et donc impossible de bien voir sans ralentir et je ne pouvais pas, j'étais sur un grand boulevard. J'ai donc fait un détour plus loin, à un autre feu et revenir sur mes pas. 
C'est à ce moment que je suis arrivé nez à nez avec l'ouvrier chargé de la circulation. Le bonhomme avec son drapeau orange. Heureusement que j'ai le sens de l'orientation. Je crois que mon explication a due satisfaire le patron puisque je suis ressorti pour subir un test de la route. 
Je m'attendais à voir surgir un garage immense et la flotte d'autocars stationnées dans la cour. Au lieu de cela, c'est un banal terminus. La majorité des véhicules se trouvent à Boucherville, dans un bâtiment appartenant à une compagnie faisant le même commerce. Drummondville n'a qu'un vieux terminus qui n'a pas encore reçu le coup de pinceau salutaire. 
Les bureaux se tiennent au deuxième étage qu'on peut accéder uniquement par un escalier trop étroit pour un homme de mon gabarit. Le propriétaire m'attendait et m'a demandé de le suivre, ce que j'ai fait. Une fois bien assis, il m'a posé des questions en relation avec mon travail. Il avait mon CV devant les yeux et le parcourait du regard au gré de mes réponses. Et elles semblaient le satisfaire. 
Je recevrai des cartes de crédit pour les besoins du véhicule et des miens mais avec des pièces justificatives, cela va de soi. Que ce soit pour de l'essence , des réparations urgentes ou encore tout simplement pour des produits de nettoyage. Partir plusieurs jours, plusieurs semaines sans possibilité de retour au bercail avant un bon moment, renouveler l'inventaire n'est pas un luxe.
Dans ce cas, les passagers s'en aperçoivent et s'en réjouissent. Et cela se traduit généralement par la générosité de mes clients à la fin du parcours. Ce qu'ils aiment aussi, c'est recevoir un sourire à chaque fois qu'ils embarquent.
Mes bonbons semblent leur faire le même effet chaque matin et c'est surtout de les voir afficher un sourire naturel et sincère sur  le visage et me dire « Bonjour monsieur le chauffeur ! » qui fait mon bonheur pour le reste de la journée.
Le salaire est acceptable. Au début et pour une durée de 30 jours, je recevrai 90% du montant journalier. Une légère différence de quinze dollars à peine. Je gagnerai plus, sinon le double du salaire que je reçois avec mon employeur actuel. Je pourrai enfin m'acquitter de mes dettes. Mais je devrai le faire avec rigueur si je veux pour cela respecter mes engagements.
Ensuite, vint le fameux test de la route. Je devais le faire avec un « bâton », dans notre jargon habituel. Un autobus manuel et qui, selon moi ne devrait même plus encombrer le paysage canadien. Je dis bien canadien, puisque nos voyages organisés traversent régulièrement les « frontières » de la belle province.
J'ai conduis la première moitié de l'examen et l'examinateur, qui n'est autre que le responsable des mécanos du garage a pris ma place. La transmission manuelle ou le bâton était bougrement difficile à changer et j'avais eu un mal de chien à rétrograder les vitesses, ce qui me forçait à immobiliser l'autocar plus souvent. Avoir eu un automatique, je n'aurais jamais abandonné mon siège et l'examen se serait déroulé sans anicroche.
J'ajoute que le monsieur est maintenant bien au fait de ce problème et devrais le corriger bientôt, au grand plaisir du chauffeur attitré. Il aura une belle surprise à son retour en tout cas. Dans le pire des cas, il devra se réhabituer à sa conduite.
J'étais tout de même découragé et je me sentais honteux de ne pas avoir continué plus loin. Ne pas avoir été à la hauteur me pesait sur la conscience. Même l'examinateur était d'accord avec moi sur le fait que le bras de vitesse manquait de graisse ou, à tout le moins avait un problème. Il m'a dit « Pas grave. Tu auras un automatique, c'est tout. On a que deux autobus manuels et le meilleur est parti en tournée... » m'avait-il répondu. J'étais soulagé en entendant cela.
De retour au garage, après notre petite virée dans les environs de la ville, le patron m'avait fait signe de le suivre. Il voulait me remettre des pièces d'uniforme de chauffeur. Ce n'est que temporaire bien sûr puisque dans quelques mois, au printemps je recevrai de nouveaux vêtements taillés sur mesure.
Je devais représenter la compagnie avec le strict minimum : un pantalon noir, trois chemises identifiées au logo de l'entreprise cousu sur la poche et une cravate. Je les ai lavé en arrivant chez moi. Les chemises sentaient le renfermé, tout comme la cravate et le pantalon. Mais le pantalon ira chez le nettoyeur, idem pour la cravate.
Donc, je suis reparti chez moi avec le sourire aux lèvres et mon uniforme sous le bras. J'avais comme mission en arrivant à la maison d'aviser le gérant de service (mon employeur actuel) de ne pas perturber ou de changer l'horaire des prochaines semaines et que j'allais les aviser lorsque le « rush » d'automne sera terminé. Normalement, c'est la semaine suivant l'Action de grâces où vers le début de novembre.
Merci à ma bonne étoile et pour vos prières, mes ami(e)s !
* * * * *
C'est dans la poche
J'avais reçu un appel téléphonique de l'entreprise bien connu au Québec, Orléans Express jeudi soir. Il était passé 18h30 et je n'y étais pas. Heureusement que l'afficheur et ma boîte vocale fonctionnait ce soir-là. Je devais rappeler une dame dont l'accent français ne faisait aucun doute sur son origine.
Après avoir pris une bonne goulée d'air, j'ai composé son numéro. Un numéro de Québec, reconnaissable à son indicatif régional : le 418. J'aurais préféré un numéro sans frais mais c'est tout ce que j'avais sous la main. J'entendais la sonnerie à l'autre bout du fil qui s'éternisait. Toujours pas de réponse.
Un court message fut laissé dans sa boîte vocale pour qu'elle retourne mon appel et surprise, le téléphone  résonnait quelques minutes plus tard. C'était la dame des ressources humaines pour Orléans Express, une compagnie assurant le transport de plus de 1,7 millions de passagers et un million de colis par année. C'est le principal transporteur interurbain de passagers par autocar au Québec.
C'est dans la poche
Elle s'est rapidement forgée une solide réputation depuis sa création en 1990. L'ensemble de la flotte ne dépasse pas la moyenne d'âge qui est de deux ans et demi. C'est le parc d'autocars le plus moderne en Amérique du Nord.
Au plan mécanique, Orléans Express respecte rigoureusement les normes de l'industrie. Il le faut bien, surtout si leurs véhicules parcours (en moyenne toujours) 12 millions de kilomètres par année.
Cessons maintenant de flatter cette entreprise dans le sens du poil et continuons cette conversation avec cette jeune et belle voix féminine, tout en étant pleinement conscient qu'elle pourrait devenir mon futur employeur. Son appel était en réalité une « entrevue téléphonique ». Je devais répondre à ses questions au meilleur de mes connaissances et de mes compétences.
La différence entre cette entrevue et celles que j'avais déjà passées auparavant, c'est l'endroit pour le moins inhabituel : mon salon. Contrairement aux salles d'entrevues des entreprises qui sont plutôt froides et inhospitalières. Or, les chances de m'y retrouver sont minces. En effet, il fut question d'un sujet que j'aurais préféré ne pas répondre mais passer outre aurait éveillé des soupçons.
C'était une question d'ordre médical. Elle abordait les limitations fonctionnels. Je m'y attendais. J'avais même eu le temps d'y réfléchir avant de lui répondre. Une réponse que je crois encore être la meilleure, même maintenant : la vérité. Et je vais vous dire pourquoi.
Une entreprise de cet ampleur n'embauche pas des chauffeurs directement dans la rue mais en examinant et scrutant leurs CV à la loupe. C'est la première étape, celle qui m'a permis de me retrouver parmi les meilleurs candidats.  Actuellement, elle procède par élimination. Ce que la représentante au bout de la ligne fait présentement avec moi.
Une fois ces étapes franchies et que les candidats sont acceptées, un examen médical est requis et même obligatoire. Si j'ai la chance et l'honneur de me retrouver aussi loin, je ne peux malheureusement m'y soustraire. Je peux cacher ma cicatrice sous un chandail ou une chemise mais pas pendant un examen médical ordonné par les employeurs. Le médecin n'est pas dupe et voudra m'observer sous toutes mes coutures. Il doit être impartial et objectif.
Il verra donc forcément cette belle marque fraîche au bas de ma colonne lombaire et me questionnera. Mentir lors d'une entrevue afin d'évaluer un candidat n'est pas dans mes cordes et ce n'est pas une option envisageable à mon point de vue. L'honnêteté dans mon cas est la seule arme possible. Si je suis refusé et je dois l'envisager, je connaîtrai enfin la raison « officielle ».
Je devrais avoir des nouvelles de l'entrevue autour du 15 ou du 16 septembre. Par téléphone, bien sûr. Parce que maintenant, vous le savez, je me méfie des enveloppes reçues par la poste. Il ne me reste plus qu'à m'auto-convaincre de mes chances pour l'obtention de ce poste. Conduire avec un salaire de 52,000 $ par année et l'une des meilleures assurances collectives de la profession.
Alors, si je peux me permettre, est-ce que je devrais en faire une maladie si jamais je recevais une enveloppe de l'entreprise ?

C'est dans la poche

Et vous aussi j'espère ? 


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