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7/7 Fin de la 1ère partie (…)

Publié le 22 septembre 2011 par Sophielucide

7.

C’est en somme ses sept ans qui forment et transforment cette enfant. Cet an de grâce 1973 où elle a reçu une paire de sandales couleur framboises écrasées, et appris que sa mère avait eu trois autres enfants dans une vie antérieure dissoute dans un passé dont il ne faut pas parler pour ne pas lui faire de peine. Un passé qu’il ne faut pas remuer, parce qu’il est trop lointain, raconté en partie dans les livres d’Histoire qui parlent d’une guerre terrible entre pays voisins. L’enfant calcule avec ses doigts et le compte n’y est pas. Les autres enfants sont nés bien après cette guerre qu’il est défendu d’évoquer. Sa mère ne veut pas en entendre parler. Ni de l’une, ni des autres. Dans les deux cas, elle a subi les choses et elle n’y est pour rien. Schlusspunkt !*

Rien n’est clair pour la petite fille qui sort de la visite médicale scolaire. Elle rapporte l’enveloppe scellée à sa mère qui la décachète en disant qu’elle n’aime pas ça. «  Je m’en doutais   finit-elle par lâcher à la fin de sa lecture, ne t’ai-je pas assez répété de ne pas t’abîmer les yeux en lisant n’importe quoi ? Il ne manquait plus que ça…»

Les lunettes sont laides et la netteté qu’elles mettent à jour n’est pas terrible non plus. Elle préférait de loin contempler son visage au travers cette brume qui dansait autour du miroir comme une douce buée. Plus de flous artistiques atténuant une réalité  crade, plus besoin d’imaginer, tout est là, sous ses yeux ! De plus, porter ces horribles lunettes lui donnent mal à la tête ; elles n’ont pour l’instant que des inconvénients : la petite doit les ôter pour se livrer aux jeux qu’elle aime, comme la gymnastique, doit les nettoyer, essuyer la pluie, la neige ou même les larmes qui font comme un barrage à sa vision du monde. Elle est myope et très vite des noms d’animaux s’associent à sa vue déficiente : myope comme une taupe, singe à lunettes et même serpent à sonnettes…

Le maître s’y met aussi, en la changeant de place. Elle est maintenant assise au premier rang, à côté du plus laid des garçons de la classe, qui porte, comme elle, des lunettes. Monsieur Legrand ajoute en souriant, qu’ainsi ils vont bien ensembles et cette insulte suprême l’attriste au moins jusqu’à la récréation.

Le soir même aura lieu une réunion des parents. Sa mère, qu’elle accompagne, y assistera. Le maître, également directeur de l’école, la sermonne gentiment et c’est une vraie surprise pour la petite fille de contempler sa mère comme une égale, prise en faute et délicieusement gênée de l’être. Il veut simplement lui faire comprendre qu’il n’y a pas de souci concernant cette enfant-ci, mais qu’elle ferait bien de surveiller de près son petit frère d’un an son cadet. « C’est lui qui mérite toute votre attention, ne le lâchez pas ! »

Sur le chemin du retour, la petite fille se demande si sa mère est contrariée ou satisfaite. Il y a dans son attitude, quelque chose de bizarre, un plaisir infime qu’elle décèle. Est-ce sa façon de rougir, de s’excuser pour son accent ?  Quoi qu’il en soit, elle distingue nettement, et sans connaître le mot, une part de masochisme dessinant autour de sa silhouette élancée une pellicule étanche. Sans en prendre véritablement conscience, la petite va se lancer dans cette hypothèse de travail. Puisque sa mère ne semble exister que dans la réaction, elle va agir, elle, aussi petite soit-elle… sa nouvelle cruauté en poche, elle a trouvé l’arme fatale pour le plus grand plaisir, à peine dissimulé, de sa mère, qui pour toute réponse aux multiples offenses qui lui seront faite, répondra par un «  j’ admire ton audace » . Comme s’il s’agissait de ça !

*Point final


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