Magazine Humeur

Les politiciens du jour : quand la vérité libère, et le mensonge asservit [Simone Weil]

Publié le 23 septembre 2011 par Hermas

 

Les turpitudes sans fin de l'actualité, financières et/ou politiques, offrent matière à réfléchir sur la chose publique, sur son caractère humain, sur les exigences auxquelles est supposée soumise cette activité humaine, et sur leur trahison, acceptée, qui conduit à tant de déshumanisations et d'aliénation.

Le hasard des lectures conduit à redécouvrir ces pages de Simone Weil - la philosophe - écrites il y a plus de soixante-dix ans, au sujet des partis politiques, dont elle demandait la suppression. Les pantalonnades télévisuelles des uns et des autres y reconduisent. A méditer.

Il sera observé que la référence de Simone Weil au "point de vue catholique" permet d'appliquer ces règles également dans l'univers religieux en général, et des débats inter-ecclésiaux en particulier : trop souvent, en effet, la posture intellectuelle des uns ou des autres, devant tel problème, est commandée moins par la nécessité et l'amour de la vérité que par des réflexes de parti.

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« (…) La vérité est une. La justice est une. Les erreurs, les injustices sont indéfiniment variables. Ainsi les hommes convergent dans le juste et le vrai, au lieu que le mensonge et le crime les font indéfiniment diverger.

« (…) Si on reconnaît qu'il y a une vérité, il n'est permis de penser que ce qui est vrai. On pense alors telle chose, non parce qu'on se trouve être en fait Français, ou catholique, ou socialiste, mais parce que la lumière irrésistible de l'évidence oblige à penser ainsi et non autrement.

« S'il n'y a pas évidence, s'il y a doute, il est alors évident que dans l'état de connaissances dont on dispose la question est douteuse. S'il y a une faible probabilité d'un côté, il est évident qu'il y a une faible probabilité; et ainsi de suite. Dans tous les cas, la lumière intérieure accorde toujours à quiconque la consulte une réponse manifeste. Le contenu de la réponse est plus ou moins affirmatif; peu importe. Il est toujours susceptible de révision ; mais aucune correction ne peut être apportée, sinon par davantage de lumière intérieure.

« Si un homme, membre d'un parti, est absolument résolu à n'être fidèle en toutes ses pensées qu'à la lumière intérieure exclusivement et à rien d'autre, il ne peut pas faire connaître cette résolution à son parti, Il est alors vis-à-vis de lui en état de mensonge.

« C'est une situation qui ne peut être acceptée qu'à cause de la nécessité qui contraint à se trouver dans un parti pour prendre part efficacement aux affaires publiques. Mais alors cette nécessité est un mal, et il faut y mettre fin en supprimant les partis.

« Un homme qui n'a pas pris la résolution de fidélité exclusive à la lumière intérieure installe le mensonge au centre même de l'âme. Les ténèbres intérieures en sont la punition.

« On tenterait vainement de s'en tirer par la distinction entre la liberté intérieure et la discipline extérieure. Car il faut alors mentir au public, envers qui tout candidat, tout élu, a une obligation particulière de vérité.

« Si je m'apprête à dire, au nom de mon parti, des choses que j'estime contraires à la vérité et à la justice, vais-je l'indiquer dans un avertissement préalable ? Si je ne le fais pas, je mens.

« De ces trois formes de mensonge — au parti, au public, à soi-même — la première est de loin la moins mauvaise. Mais si l'appartenance à un parti contraint toujours, en tout cas, au mensonge, l'existence des partis est absolument, inconditionnellement un mal. »

Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques, Ed. Climats


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