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Putain, j’ai jamais fini une journée de taff avec une...

Publié le 10 octobre 2011 par Fabrice @poirpom
Putain, j’ai jamais fini une journée de taff avec une...

Putain, j’ai jamais fini une journée de taff avec une telle banane.

T-shirt étiré par la sueur, gueule rougie par l’effort, touffe de tifs déglinguée à l’explosif, biceps tressaillants sous le poids des pieds en fer des kakémonos, Ya-Noo plante les deux pointes de sa banane dans ses oreilles en trottant jusqu’au Berlingo de la log’.

22h47. Dans quelques minutes, un mouvement va s’opérer. Toute l’équipe qui a bûché sur le projet marseillais va gentiment se déplacer vers le spot de l’aftershow, à deux pas du Vieux Port. Cuite collégiale en perspective. Jusqu’au petit matin. Mais là, il est encore 22h47. Et Ya-Noo est là depuis plus de douze heures.

Première bataille du matin: faire rentrer des presswalls de 2m30 de haut dans une pièce de 2m29 de hauteur sous plafond. La veille, Ya-Noo tailladait lesdites plaques de carton plume de dix centimètres à coups de cutter pour les faire rentrer. Onze eut été parfait. Douze, une promenade. À dix, c’est donc une bataille avec ces putains de plaques légères comme des plumes mais aussi faciles à manipuler qu’une Bentley sur le parking d’un Auchan un samedi à 18 heures.

Un peu coton pour éviter les rayures.

Koo-Zeen Deb déboule, scrute les Bentley, glisse sur les rayures et embraye.

On s’en carre. On enchaine.

Une petite dizaine d’heures plus tard, les stars défileront une à une, après interview canapé, devant le presswall, se faire tirer le portrait. Sourires figés et tenues de carnaval.

Direction le hall du Dôme. Pour accrocher des boards de deux mètres de large sur des armatures tubulaires qui culminent à cinq bons mètres du sol. De part et d’autre des armatures, des escaliers qui mènent aux gradins du haut. Accès qui restera interdit au public aujourd’hui. Ya-Noo la gazelle grimpe les marches vitesse Grand V, sort ses clés de bagnole, les accroche à quelques mètres de cordelette, tente un lancer franc entre deux tubes en ferraille, marque et déroule gentiment la cordelette jusqu’au sol. Au sol, décrochage du trousseau puis rapide noeud à chaque coin de board. Et lente ascension jusqu’au ciel. Une heure de taff pour faire pendouiller les trois plaques de forex à quelques mètres du sol. Parce que Ya-Noo, la cordelette, c’est pas sa came. Le bout qu’il tient dans les mains ressemble systématiquement à une pelote de laine après le passage d’un chaton en pleine montée de sucre.

Deux putains de mains gauches coincées dans des gants de boxe pour main droite. Nécessaire de repasser derrière, avec une dextérité de mamie qui tricote, pour défaire les nœuds.

Direction le catering. Et Ya-Noo pleure. Tortilla de poulet, gavée de légumes, noyée dans une sauce au cheddar douce comme le lait maternel. Ya-Noo pleure parce que la graille a le goût d’une cuisine maison. Ce qui est le cas. Une demie douzaine de voyous et de scarlettes s’activent en cuisine pour vriller la gueule à l’hypoglycémie ambiante.

Un pass All access, tout le monde s’en tape. Claquer la bise aux stars suintantes de sueur, c’est surfait. Se faire dédicacer son t-shirt, c’est digne d’une midinette. Mais toper un ticket pour le catering d’une salle de concert, c’est la classe internationale. Un aller simple pour le paradis du cholestérol. Un truc jouissif, à en chialer du coulis de framboise.

Le soir, Ya-Noo remettra le couvert. Il cassera la gueule à des lasagnes au saumon. À chaque bouchée, une tendresse digne des jolis petits seins en poire d’un amour de vacances. Douceur gorgée de soleil. Il chouinera sur ses lasagnes à deux pas d’une des stars trop sympas du soir qui, elle-même, choucroute sur la tête, défoncera son plat à coups de fourchette meurtrière. Double ration, même, de sucres lents et de poiscaille pour la starlette. Anticipation avant de pousser la chansonnette. Remuer le popotin de plus de deux mille personnes, ça creuse.

Après le déj’, heures creuses. Ya-Noo se cale dans les gradins et dort d’un oeil. De l’autre, il reluque les technicos qui bricolent. Tests de spotlights, réglages d’écrans géants, câblage déroulé sur des centaines de mètres, mise en place de caméras pour la captation… De sa place, à quelques mètres sous la régie son, le Ya-Noo se gave en digérant.

Sur le parvis, B-Ka est calée avec son équipe pour la nouveauté de l’année: un projet sur le site du concert. Sa team a déboulé avec un tas de palettes, des outils en pagaille, des clous, de la peinture et des pinceaux. Le but: bricoler bancs et tables pour une asso du coin. Les bricoles du jour seront calées dans l’immense jardin de l’asso qui apporte son soutien aux vieux croutons marseillais aux fins de mois difficiles. Les aînés anisés pourront poser leurs derrières fatigués sur des bancs faits main, à l’abri du feuillage touffu du jardin.

Si le projet est fait sur le site de la salle de concert, c’est dans le but de se récupérer deux des stars du soir: le Monument et la Montgolfière.

Le premier pose du son sur la Terre depuis une vingtaine d’années et fume des zouzous aux herbes de Provence depuis au moins vingt-cinq. Conséquence: il ne peut passer aujourd’hui plus d’une heure loin d’un endroit où s’isoler avec son crew et leurs épices. C’est la principale raison, implicite, unofficial, du projet sur le parvis de la salle. L’espoir qu’il décolle son cul du canapé de sa loge et vienne, dans sa mansuétude sans bornes, saluer les jeunes loulous qui se cassent le cul pour tenter d’améliorer, humblement, maladroitement, le quotidien des croutons anisés en bricolant des bancs.

Le second, la Montgolfière, bégaye dans un mike depuis six mois et gonfle dix fois trop vite. Il s’envole dans les étoiles, l’animal. La veille au soir, en déboulant à l’hôtel, la baudruche XXL est redescendue de sa piaule quatre minutes après y avoir posé un cul et s’est taillée en râlant. Motif à voix haute: piaule trop petite. Motif à voix basse: le Monument roupille dans le même hôtel. Et deux melons dans le même marchand de sommeil haut de gamme, c’est trop. Il n’y aura jamais assez de place pour Monument et Montgolfière. Du lourd d’un côté et beaucoup d’air de l’autre. Du grand guignol dans les deux cas.

Et là, aujourd’hui, les deux marioles vont faire les pisseuses. Pour garder la forme. Le Monument ne bouge pas son cul, non pas de sa loge, mais de sa piaule d’hôtel. Et la Montgolfière, qui veut être plus grosse que ce tocard de boeuf, ne met pas un pied sur le projet. Les gens de la prod’, les gens importants, les gens concernés font une tronche… longue à s’en prendre les pieds dedans en passant devant eux. Projet plié, matos rangé, équipe qui taille avant de se repointer, rapidement, et squatter le catering. À côté de Ya-Noo qui chiale de la framboise devant ses lasagnes au saumon.

Comme chaque concert, la densité de population augmente au fur et à mesure que les heures défilent. Ce qui était un village de pêcheurs dans la matinée devient une station de métro aux heures de pointe dans la soirée. Ça sent la sueur des technicos qui crapahutent à toute blinde pour tout boucler backstage. Et ça sent la Weed dans le couloir des loges depuis que le Monument s’est pointé avec son crew. À un moment, sans autre raison apparente que la piqûre d’une mouche, le lascar est partant pour l’interview de rigueur. Il s’apprête à sortir de sa loge. En cet instant singulier, Ya-Noo a la main posée sur l’épaule de l’ingé son greffé à la cam’ qui va immortaliser ledit instant. Et quand la porte s’ouvre, ce que Ya-Noo et consorts voient est un brouillard. Qui les empêchent de voir le fond de la loge. Une gueule haut perchée, aux yeux plissés par les épices, fend la brume. T-shirt 4XL, jogging, chaussettes blanches et tatanes de piscine. Une dégaine de beauf du dimanche, un corps creusé et sec de camé du Bronx. Des volutes grises caressent sa gueule taillée au couteau ornée d’yeux en trous de pine. Alors Lee-za Stupidus l’attrape par le bras, l’agrippe, glousse, et l’entraine vers les escaliers. Qu’ils grimpent lentement, entourés par deux murs humains, trois cadreurs et leurs ingés sons, deux photographes. Et c’est tout.

Lee-za Stupidus briefe le lascar embrumé. Elle bave des âneries, l’oriente sur ce qu’il pourrait dire.

Lee-za Stupidus. La meilleure copine de la patronne et de Leen-C. Mâchoire tracto-pelle, peau bronzée, jupette noire, chaussures en toile, talons qui donnent le vertige, sourire de VRP et rire de sorcière. Malgré les guirlandes et les babioles, la Stupidus a autant de charme qu’un semi-remorque garé sur le parking d’une zone industrielle en friche. Mais ce cametard en jupette a topé les 06 de la moitié des stars anglophones que le Monde entier a adoré au moins quinze minutes. Elle leur claque la bise, elle connait leurs histoires de cul et elle traite avec dédain tous ceux qui ne sont pas passés à la télé.

Ceci est une définition de ce qu’elle fait dans la vie et du comportement qui en découle. Il y a des métiers étranges.

D’un côté, Leen-C peut pas la piffrer et lui a dégoté son joli surnom - Stupidus. De l’autre, la patronne a bien envie de lui péter les rotules à coups d’iPhone. Au milieu, la Stupidus fait des papouilles aux stars de ce monde.

En haut de l’escalier, le Monument est en pleine montée de vapeur épicée. Lee-za crache sa bave de sa voix nasillarde et lui, il valide. En gesticulant tel un ninja de série B et en déblatérant.

You bet I do! You bet I do! I’m in da place.

L’un des murs humains ouvre la voie jusqu’à la press room, l’autre ferme la marche puis la porte quand le cortège est dans la boîte.

À l’intérieur, questions-réponses en douceur, les culs calés dans des canapés en cuir. Posés devant les presswalls. Pour la blague, l’un des journaleux fait siroter du pastaga au Monument - Marseille oblige. Grimace sur sa gueule embrumée. Deux trois blagounettes plus tard, il se lève en douceur et se prête au jeu des photos. Alors S-Bolla, le twitter boy de la bande, planqué dans un coin, fait lentement surface, bafouille trois âneries, capte son attention pour une rapide vidéo et le retient trois secondes de plus une photo qu’il montrera à qui veut. Le Monument se fend d’un sourire devant la gueule de déterré lunaire et barré de Twitter Boy et lui lâche une petite bombe: il lui tend son zouzou provençal. Du bout des doigts, S-Bolla récupère le cierge, tire, inhale, contient, expulse et rend l’objet du crime.

Tout le reste, sur, derrière et autour de la scène se passera sans heurts. Starlettes à vocalise groovy, Montgolfière déchainée, Monument au groove explosif. Démontage au pas de charge pendant le show, allers-retours de Ya-Noo entre concert et bidouilles, coupettes de champagne régalées par la patronne. Sueur qui flingue le t-shirt, plante des pieds qui brulent, souffle chaud… Tout se passera bien.

Mais là, à 20 heures passées, dans la salle de presse bien gardée, devant le presswall calé au chausse-pied, après une courte vidéo improvisée, il y a, sur les tronches du Monument et de Twitter Boy, à peine dissimulée par les volutes, la même chose que sur celle de Ya-Noo à 22h47.

Une putain de banane plantée entre les oreilles.


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