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Le Goncourt annoncé

Publié le 02 novembre 2011 par Jlk

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Un roman qui bat en brèche l’amnésie française: L’Art français de la guerre d'Alexis Jenni.

C’est sans grande surprise qu’est tombé, hier, le verdict de l’Académie Goncourt, attribuant le plus prestigieux des prix littéraires français au premier roman du quadragénaire lyonnais Alexis Jenni, intitulé L’Art français de la guerre. De fait, le nom du lauréat, considéré comme une des « révélations » de la rentrée, semblait le mieux placé sur la dernière ligne de la course au Goncourt, avec celui de Carole Martinez et son beau roman médiéval lyrico-mystique intitulé Du domaine des murmures, qui a obtenu trois voix au premier tour contre cinq à son concurrent – tous deux courant pour la puissante écurie Gallimard. Or la vocation déclarée du Goncourt dès sa fondation, tenant à encourager un inconnu de talent, se trouve en somme honorée après moult dérogations – de Marguerite Duras couronnée à 70 ans en 1984, au célébrissime Michel Houellebecq « rattrapé » l’an dernier…

Tout classique de forme, bien construit et pratiquant la « ligne claire » de notre langue, L’Art français de la guerre, certes long et très  franco-français de substance, et malgré son pesant de sentences voulues définitives (mais n'est pas Céline qui veut...)   devrait pourtant toucher aussi le public « étranger » par les questions qu’il pose sur l’effacement de la mémoire. On peut douter que son retentissement soit comparable à celui des Bienveillantes de Jonathan Littell, « goncourtisé » en 2006, mais l’ouvrage a le même mérite de rompre avec un certain nombrilisme littéraire. Ainsi module-t-il, par le truchement de ses deux protagonistes, une sorte de décapage de l’histoire des guerres françaises de ces soixante dernières années, entre l’Indochine et l’Algérie, notamment

Amorcé par une évocation de la guerre du Golfe, par le narrateur un peu glandeur-quadra-paumé  qui découvre à la télé, en 1991, le départ des spahis de Valence pour le désert et sa Tempête, le roman décolle avec l’apparition, dans un « café perdu », de Victorien Salagnon, revenu de toutes les guerres et qui, bien après ses activités d’ « officier parachutiste dessinateur » du  Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, a continué de peindre au pinceau chinois, dont il va d’ailleurs transmettre l’art à son jeune interlocuteur. « Avec du noir il faisait de la lumière, et de la lumière le reste découle ». Pour payer ces leçons, le narrateur se fera le chroniqueur des tribulations parfois terribles de Salagnon,  constituant la partie la plus dynamique du roman, ponctué par les surtitres de Roman I à Roman VI. Ceux-ci  alternent avec des chapitres sur-titrés Commentaires, de  I à VII, qui marquent un contrepoint réflexif. « Les guerres sont simples quand on les raconte », déclare Salagnon au fil de son récit. « Sauf celles-là que nous avons faites. Elles sont si confuses que chacun essaie de s’en sortir en donnant un petit roman plaintif, que personne ne raconte de la même façon. Si les guerres servent à fonder une identité, nous nous sommes vraiment ratés »…

A noter enfin que la composante du dessin, dont les traits lient aussi les deux protagonistes, a son importance dans la modulation du récit d’Alexis Jenni par images, souvent bien silhouettées et frappantes – qui trouvent d’ailleurs une prolongation sur un blog dessiné de l’écrivain (http://www.jalexis2.blogspot.com) à l’enseigne de Voyages pas très loin.

Or Alexis Jenni, et c’est bien sympathique, a l’air le premier éberlué de se trouver propulsé « un peu plus loin » avec L’Art français de la guerre.

Alexis Jenni. L’Art français de la guerre. Gallimard, 633p.


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