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Monsieur Suspect

Publié le 01 novembre 2011 par Madamebine @madamebine

Posted in Chroniques,Chroniques,Vie de quartier

Monsieur Suspect

Le tour d’avoir l’air louche

Ce n’est plus un scoop pour personne, il y a des gens dans notre quartier qui payeraient pour venir installer leur chaise de jardin devant notre maison et ainsi être aux premières loges pour assister au curieux spectacle de notre vie. Il faudrait bien sûr qu’ils aient le droit de poser des questions et de commenter, parce qu’on ne peut pas se le cacher, regarder c’est le fun, mais donner son avis, ça n’a pas de prix. Je serais bien malvenue d’obstiner quiconque là-dessus.

Par contre, contrairement à mes voisins, ce que les gens font une fois rentrés chez eux, ça m’intéresse bien peu. Pour vrai, je ne me demande jamais de quoi a l’air Mamie Poubelles dans sa cuisine, ce que fait Monsieur Bédaine de ses journées ou si Monsieur Net est un bon père de famille. De toute manière, j’en ai déjà une assez une bonne idée. Quand je ne les vois pas, je suis en congé. Ils me mettent tous assez dans le jus dès qu’ils posent le pied dehors, pour que je ne rêve pas de les espionner une fois en dedans. Tous sauf un: Monsieur Suspect.

Passant louche par excellence, il a le profil type du gars qui a tout intérêt à ne pas attirer l’attention sur lui. Conséquemment, il est celui qui m’intéresse le plus. Je suis comme ça, j’ai toujours été une adepte du comportement « tu me fuis, je te suis ». Sentimentalement, ça m’a beaucoup nuit, mais ça, c’est une autre histoire.

Toujours est-il que Monsieur Suspect fait exactement tout ce qu’il faut pour me donner envie de savoir qui il est et ce qu’il fait de sa vie, en dehors des 20 secondes par jour où il traverse ma ruelle. Parce que voilà, ce Monsieur-là ne fait que passer. Tous les jours. À la même heure. Avec le même look de voyou. Dans la même direction. En parlant au téléphone. Tous les jours, c’est précisément la même chose. La même démarche rapide de celui qui sait où il va, le même air préoccupé et le même bandana noir sur le coco. Et dans un quartier de personnes âgées qui promènent leur chien et qui font pousser des tomates comme si leur vie en dépendait, ça détonne quelque chose de rare.

Ce n’est pas qu’il me fait peur physiquement.  Il a beau être accoutré comme un aspirant Hell’s, il a pas l’air d’un grand dangereux, même s’il est clair qu’il brasse des affaires pas nettes nettes. OK, j’irais pas lui parler, mais c’est plus parce que j’ai l’impression que si on intervenait, ça le fuckerait tellement dans sa routine que ça pourrait être dangereux pour lui. Et n’allez surtout pas penser que je suis une pas fine qui juge l’homme à l’habit. Je trouverais tout aussi freekant qu’une petite fille passe tous les jours à la même heure, dans la même robe en mangeant des fraises. Euh bon en fait, la petite fille, c’est comme beaucoup plus épeurant finalement, mais vous comprenez ce que je veux dire.

Non mais sans blague. On a bien sûr essayé de lui imaginer une vie normale, de se dire qu’il revenait peut-être juste dîner tous les jours à la maison et qu’il appelait sa blonde pour lui dire qu’elle pouvait partir les pâtes, pile quand il passait devant chez nous, parce que le timing était parfait. On a vraiment fait un effort de non jugement là-dessus et on n’est jamais arrivés à se croire, alors un bon jour d’été, n’y tenant plus, on a envoyé Monsieur A. le filer. C’était une tâche qu’il valait mieux lui confier pour des raisons que vous êtes maintenant en mesure d’imaginer. Pour les nouveaux, disons simplement que Monsieur Bine et moi n’avons pas exactement les qualités d’une escouade tactique. Donc, content d’avoir une mission à remplir pour le bien de l’humanité, notre ami a courageusement chevauché son vélo électrique et tel un héros d’émission jeunesse, a suivi de loin notre présumé malfaiteur.

C’est comme ça qu’on a appris, 4 minutes plus tard, que Monsieur Suspect entrait gentiment dans une petite maison au parterre tout fleuri, à quelques rues de chez nous. That’s it. Pétard mouillé. Pas d’égorgeage de chat, de maison hantée ou de transactions illégales. Rien. « Il entre dans une petite maison de grand-maman toute cute, tout est correct ». C’est ce que Monsieur A. nous a rapporté. On était assez déçus. Des Colombo désoeuvrés. Y a pas à dire, les Bine étaient débinés.  Les jours ont continué de passer et avec eux, Monsieur Suspect, fidèle au poste, en bon figurant qui connaît son cue, a continué de traverser notre ruelle, gardant pour lui son secret.

Pas impressionnée pour cinq cennes par sa couverture de maison fleurie et surtout pas capable de jeter la serviette, j’ai interrogé Mamie Poubelles sur la question. Elle a fait sa face résignée, suivie de sa face découragée, pour finalement faire des non de la tête en soupirant fort. D’un coup, ça m’a ramenée à l’ordre et ça m’a rappelé les règles tacites du quartier. Les choses sont comme elles sont et rien ne sert de s’exciter. C’est ainsi qu’on vit ici et c’est pas moi qui va changer ça. Mamie Poubelle soupire, Papi Poubelles tond, Monsieur Bédaine boit, Monsieur Net veille, Monsieur A. est écolo, Madame Bine écrit et Monsieur Suspect ne fait que passer.

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PS: Le dossier Monsieur Suspect est toujours d’actualité. Si vous avez des hypothèses, des techniques d’espionnage ou des noms, lâchez-vous lousse!

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