Magazine Journal intime

Gnome blanc et veuve noire

Publié le 28 février 2008 par Laurent Matignon

Petit laid


Chapitre 26
Dimanche.
La télé est restée allumée toute la nuit. Dans la petite lucarne j’entends les brebis bêler leur joie béate d’avoir été engendrées par le Créateur, de faire partie d’un si bel Univers. Devant tant de perfection(s), comment ne pas avoir la foi ? Notre Univers est en effet si beau, si harmonieux.
Nous n’en connaissons pas d’autre.
Carine est tranquillement installée sur le sofa. C’est elle qui a décidé de regarder la messe que la télévision publique, par obligation de diffusion, nous impose chaque dimanche matin face à Téléfoot – combat ô combien inégal. Elle ne semble pas s’étonner de ma présence. Pourtant il y a plusieurs jours qu’elle ne m’a vu.
Cette fille est décidément très étrange.

Je n’ai pas l’intention d’écouter plus longtemps ces inepties de crétinisme orthodoxe. Elle doit choisir : changer de chaîne ou couper le son. Et puis, après tout, ne devrait-elle pas ressentir le besoin de parler avec moi ? N’a-t-elle donc rien à me raconter de ses récentes péripéties ?
Sans doute n’a-t-elle pas de cœur...
Je me décide, afin de détourner son attention du gnome blanchâtre qui boit du vin devant des femmes agenouillées, à lui demander où elle était et ce qu’elle a fait durant ces quelques jours. Réponse évasive, comme toujours. Cette fille jouerait avec moi qu’elle ne s’y prendrait pas autrement ! Elle m’explique qu’elle avait besoin de prendre du recul, de respirer, de réfléchir. A quoi, elle se garde bien de me le dire ! Croit-elle donc que je suis friand de devinettes ? Pense-t-elle que je n’ai rien de mieux à faire que de me creuser le cerveau afin de trouver quelque chose qu’elle-même sait déjà depuis longtemps ?
C’en est trop.
Je ne suis pas du genre colérique, mais là, bordel !... S’imagine-t-elle qu’elle va pouvoir, comme cela, en faire à sa tête pendant que moi je me fais un sang d’encre ?

Il va falloir mettre les points sur les « i » !
Si j’avais des amis, si je ne les avais pas tous abandonnés à leur confortable médiocrité, je sais bien ce qu’ils me conseilleraient : quelques coups pour bien lui rappeler qui est le chef dans cette maison. La bonne vieille sagesse arabe. Mais je suis sensible, moi. Je réprouve toute forme de violence. Aussi justifiée soit-elle.
Pourtant, j’ai parfaitement conscience qu’il va être fort malaisé de communiquer avec cette femme. Car communiquer implique un échange, une transmission. Une relation. Et cette fille semble ne vivre que pour elle-même. Comment bâtir alors quelque chose de solide ? D’autant plus que je sais déjà qu’elle va bien vite s’enfermer dans sa tour d’ivoire lorsque je vais tenter de lui faire comprendre que certaines choses ne se font pas !
Et allons donc ! Voilà qu’elle tente maintenant de me faire culpabiliser ! Elle n’a pas besoin de parler pour ça : c’est bien la première fois que je lis dans ses yeux autre chose qu’une stupide et obscène joie de vivre. J’ai compris depuis longtemps que Dieu a pourvu la femme de pupilles afin de lui donner un regard plus expressif, plus intelligent, plus humain en somme. Mais en cet instant précis, je regrette que Dieu n’existe plus. C’est sans doute mieux ainsi. Il n’a pas à supporter la lente déchéance de ses créations. Et qui sait quelle aurait été sa réaction s’il avait pu anticiper une telle évolution ? N’aurait-il pas décidé de tout nettoyer, aveuglément, tel un Hitler qui décida de supprimer tout ce qu’il jugeait comme inférieur – y compris quelques savants par trop scrupuleux dont la collaboration lui aurait été, n’en doutons pas, fort précieuse ? S’il est une chose que la vie m’a appris, c’est bien de ne jamais se laisser guider par ses émotions. Il faut toujours garder le contrôle de soi, se maîtriser, connaître ses objectifs et ses priorités.
Heisenberg, qui l’avait bien compris, a ainsi choisi de tranquillement poursuivre ses travaux sur l’atome, bien loin des affres de la guerre.
« L’art pour l’art », expliquait-il. Tout en améliorant la productivité nazie.
Faire d’une pierre deux coups. Encore une jolie expression.
Je ne parviens pas à définir ce qui brille au fond des yeux de cette sorcière. Tristesse ? Lassitude ? Colère ? Dégoût ? Mépris ? Serait-ce de la peur ? C’est plutôt moi qui devrais avoir peur ! Comment est-il possible d’avoir des yeux si pâles ? C’est maintenant plus flagrant encore, avec ces gouttes de sel qui suintent sur son visage. Cette fille est vraiment diabolique. Comment parvient-elle à me faire ainsi sortir de mes gonds, moi qui suis un modèle de calme et de sérénité ? Quoiqu’il en soit, si elle croit qu’elle va m’abuser ainsi, il vaudrait mieux pour elle qu’elle se familiarise avec le goût du chlorure de sodium. Elle risque d’en avaler en quantité.
En quittant l’immeuble j’ai malencontreusement oublié de saluer la concierge.
Cela ne me ressemble pas.

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