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L'heure des mamans

Publié le 29 février 2008 par Antigone

L'heure des mamans

Cela avait commencé avec la venue de l’enfant.

Sans le vouloir, elle avait endossé le costume qu’on lui tendait, ce rôle, cette assignation à monter sur les marches d’un podium imaginaire, auréolé d'une gloire éternelle.
Elle était mère, elle se devait d’en être fière.

Depuis cet instant où la vie s’était expulsée de son corps, en un cri strident et gargouillant, toutes ses pores, chaque parcelle de son esprit ne se devait de se consacrer qu’à cette seule tâche, sublime, le bien-être de cet enfant, le sien.

Elle aimait enfouir son visage dans les cheveux dorés de sa fille, lui apprendre le monde. Mais elle avait accroché à la porte d’entrée de son appartement le costume rose ramené de la maternité, bien trop grand, qui pendait nonchalamment. Elle n’avait rien vu venir, elle était restée elle-même, elle ne connaissait pas encore « L’heure des mamans ».

Il fallait les voir, ces mères, les unes à côté des autres, sous le préau des maternelles, attendant leur progéniture, à l’heure du goûter. Chacune scrutant l’autre, cherchant la faille, pour se rassurer sans doute, pour asseoir un peu plus leur propre légitimité.
Des conversations entamées. Des reconnaissances qui s’installaient. Sans elle.

Elle les entendait avec frayeur énumérer des gloires maternelles qu’elle se sentait incapable d’assumer, des anniversaires organisés, des activités bien réglées. « Ah, je cours ! Je cours ! ».

Elle, elle ne courait pas. Elle écrivait, elle lisait, et elle se penchait sur les dessins de son aînée.

De temps à autre, elle se disait qu’il ferait bon n’être qu’un père à la sortie de l’école. Elle les enviait parfois. On leur concédait tant de choses, tant d’erreurs irréparables, le droit d’être en retard, d’oublier les blousons, de ne pas connaître par cœur les évènements de la journée. On leur concédait le droit d’être eux, tout simplement.

Cela avait commencé avec la venue de l’enfant, cela prendrait fin, sans doute, un beau jour, plus tard, avec leur départ du domicile familial. En attendant, elle tentait de gagner cette lutte quotidienne, pour ne pas se perdre, chaque jour davantage.
Elle redoutait pour cela « L’heure des mamans » et songeait à l’occasion, avec humour, quoique  sérieusement, à se laisser pousser bientôt une virile moustache.


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