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Le baron perché

Publié le 05 décembre 2011 par Araucaria
Le baron perché
Le Baron perché est un conte philosophique que j'ai beaucoup apprécié. J'ai trouvé ce texte très pétillant, plein de fraîcheur et de cocasserie. Je me suis beaucoup divertie en le lisant, il y a très longtemps que cela m'était arrivé. Un livre que je vous recommande chaleureusement.
Quatrième de couverture :
Une des inventions les plus étonnantes de toute l'histoire de la littérature : comment un enfant  monté à douze ans dans les arbres y reste, comment l'homme y passe toute sa vie, pour prouver à ses contemporains ce que c'est que la liberté et l'intelligence et pour leur prouver qu'ils n'agissent, eux, qu'en balourds et à l'étourdie : pas seulement dans leurs rapports à la nature, mais aussi bien dans leurs engagements historiques (nous sommes au temps de la révolution) ou dans leurs amours si dépourvus de fantaisie. Un autoportrait d'un des plus grands écrivains de ce temps : Côme circule dans les yeuses comme Calvino dans les lignes.
Résumé :
Parce qu'on veut lui faire manger des escargots, le baron du Rondeau, un beau jour, vers 1770 (il a alors douze ans), monte dans les arbres et refuse d'en plus jamais descendre. On peut faire bien des choses dans les arbres : chasser, mais aussi recevoir Napoléon en grande pompe et même séduire une fantasque Marquise.
On trouvera d'abord ici une sorte de "Robinson ligure". Côme du Rondeau, c'est un homme selon la nature au sens où l'entendait Rousseau, en lutte avec la nature à la façon dont le montrait Defoe. Et tout autour de Côme, branches et feuilles poussent, se divisent, se rejoignent.
On découvrira en même temps une fantaisie sans cesse jaillissante. La conversion du brigand par la lecture de Clarisse Harlowe, les caprices de la Marquise, l'enlèvement par les Barbaresques de l'hydraulicien mahométan... autant de pages où la cocasserie fait alliance avec la fraîcheur.
Mais il ne faudra pas oublier de lire Le Baron perché pour ce qu'il est : un conte philosophique. Calvino écrivit ces pages au moment où il vivait la crise de la gauche européenne : Côme reste présent à l'histoire, mais du haut des arbres, parce que, vraiment, c'est trop absurde, tout ce qui se passe en bas.
Extrait :
"Que Côme eût la tête dérangée, on le disait à Ombreuse depuis le jour où, à douze ans, il était monté dans les arbres, et avait refusé d'en descendre. Mais par la suite, comme il arrive souvent, tout le monde avait accepté sa folie : non pas seulement son idée fixe de vivre dans les hauteurs, mais aussi les multiples bizarreries de son caractère; tous le considéraient comme un original, sans plus. Dans la pleine saison de ses amours avec Violette, il y eut ses manifestations de joie dans des idiomes incompréhensibles. On fut particulièrement choqué par celle à laquelle il se livra lors de la fête patronale : la plupart la jugèrent sacrilège, interprétant ses paroles comme un cri hérétique, peut-être un cri carthaginois - la langue des Pélagiens - ou bien comme un profession de socinianisme, qu'il aurait faite en polonais. Dès lors, le bruit commença de courir : "Le Baron est devenu fou!" Et les bien-pensants d'ajouter : "Comment pourrait devenir fou quelqu'un qui l'a toujours été?"
Au milieu de ces jugements contradictoires, Côme était devenu fou pour de bon. S'il s'était jusque-là vêtu de peaux de bêtes, depuis le haut jusques en bas, il ornait désormais sa tête de plumes, comme les aborigènes d'Amérique, des plumes de huppe ou de verdier, aux couleurs vives : il en semait même sur ses vêtements. Il finit par se faire des habits à queue entièrement couverts de plumes et par adopter les habitudes des oiseaux. Il tirait des troncs des lombrics et des larves, à la façon des pics, et s'en vantait comme de la possession d'un trésor.
Devant ceux qui se rassemblaient sous les arbres pour l'écouter et se moquer de lui, il commença à prononcer l'apologie des oiseaux; de chasseurs de la gente ailée, il se fit son avocat; il se proclamait tantôt pigeon-colombin, tantôt hibou, tantôt rouge-gorge, se camouflant de manière adéquate, et prononçant des réquisitoires contre les hommes qui ne savent pas discerner dans les bêtes à plumes leurs vrais amis; réquisitoires qui s'adressaient en fin de compte à toute la société humaine, sous forme de paraboles. Les oiseaux s'étaient aperçus de son changement et venaient près de lui, même quand il avait un auditoire à ses pieds. Ainsi pouvait-il illustrer son discours d'exemples vivants empruntés aux branches voisines.
Le résultat fut que les chasseurs d'Ombreuse parlèrent beaucoup de se servir de lui comme d'appeau; en fait, nul n'osa jamais tirer sur les oiseaux qui se posaient près de lui. Le Baron, même depuis qu'il extravaguait de la sorte, continuait d'intimider quelque peu. On se moquait bien de lui; il avait souvent sous ses arbres une bande de gamins et d'oisifs qui faisaient  des gorges chaudes; mais il n'en était pas moins respecté, et c'est toujours avec attention qu'on l'écoutait.
Ses arbres étaient maintenant pavoisés de pages couvertes d'écriture ou même de pancartes portant des maximes de Sénèque et de Shaftesbury; ajoutez-y des objets : bouquets de plumes, cierges, petites faucilles, couronnes, bustes de femmes, pistolets, balances, liés les uns aux autres dans un ordre déterminé. Les gens d'Ombreuse passaient des heures à tâcher de deviner ce que voulaient dire ces rébus : les nobles, le Pape, la vertu, la guerre? Je crois que, parfois, ils n'avaient aucun sens et cherchaient seulement à aiguiser l'esprit; mon frère voulait faire comprendre que les idées les moins courantes peuvent être les plus justes aussi."
(...)
Le baron perché - Italo Calvino (1923 - 1985) - Points R10

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