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Entretien avec Véronique Ovaldé autour "Des Vies d'oiseaux"

Publié le 11 novembre 2011 par Zone Littéraire De Vanessa Curton

« L’opacité des êtres m’intéresse beaucoup. »


En Amérique du Sud, dans le quartier chic d’une ville du bord de mer, Vida et Gustavo s’aperçoivent en rentrant de vacances que des gens se sont introduits chez eux. Si rien n’a été volé, il semblerait que leur lit ait été occupé.

Pour résoudre l’énigme de ce « cambriolage insolite », ils font appel à l’inspecteur Taïbo qui reçoit de nombreuses autres plaintes de cette nature. Vida soupçonne rapidement sa fille, Paloma, qui a fuit la maison avec son amant et dont son père, Gustavo, ne veut plus entendre parler. 
D’une enquête policière, Véronique Ovaldé nous entraine à la rencontre de personnages attachants dont elle déploie, ou sonde, toute la subtilité des relations.
 




« Des Vies d’oiseaux a la forme d’un polar.
Pourquoi avoir choisi cette forme ?

Le livre n’a pas totalement la forme d’un polar. Il commence par la situation d’un couple qui appelle un policier pour lui demander de venir les voir parce qu’ils ont été cambriolés. En l’occurrence, ils n’ont pas été réellement cambriolés puisque rien n’a été volé. Mais j’installe cette situation parce qu’au fond, quand on écrit un roman, on installe une sorte de suspens, toutes sortes de suspens, d’ailleurs. Policier mais aussi de « qui sont ces gens dont je parle ? Où sont-ils ? Où vont-ils ? Etc. »
J’installe donc une sorte d’enquête, mais au fond, j’ai moi-même l’impression d’enquêter sur les gens dont je parle dans un roman.

Voulez-vous dire que vous ne connaissiez pas ces personnages avant de commencer l’écriture de votre roman ? Est-ce que vous les avez inventés au cours de l’écriture ?

Je les connaissais très peu avant de commencer. J’en avais une esquisse. On a le flic un peu mélancolique, qui est revenu de tout et qui s’accommode de sa vie modeste. On a la grande bourgeoise, qui vient d’un milieu social assez misérable et qui est, du coup, écartelée entre son milieu social d’origine et celui dans lequel elle navigue maintenant. Et peu à peu au cours de l’écriture du roman, je dirais presque qu’ils se remplissent de substance, ils se remplissent de vie, ils s’enrichissent et ils peuvent, ainsi, déployer leurs vies.

J’ai, d’ailleurs, eu l’impression que ces personnages étaient de plus en plus présents, même pour eux-mêmes, au sein du livre. Comme s’ils se mettaient à exister progressivement les uns pour les autres…

C’est un peu ça… On les croise, on les rencontre, pour moi-même justement, c’est comme une enquête, comme je disais précédemment. J’en connais plus sur eux à la fin du roman qu’au début. Et ça, c’est intéressant. Tout comme quand on rencontre quelqu’un, on en connaît beaucoup plus sur lui au bout d’une année que dans l’instant où on le rencontre. J’aime bien aussi les gens qui n’ont pas l’air d’être ce qu’ils sont. Mes personnages sont donc souvent assez ambigus, ou, on a des archétypes : la grande bourgeoise, le mauvais garçon, le flic… Puis, quand on les connaît un peu, on se rend compte qu’ils sont tout à fait autre chose que ce qu’ils ont l’air d’être. Mais, il faut passer un peu de temps avec eux pour essayer de percer leur secret. L’opacité des êtres m’intéresse beaucoup.

J’aimerais revenir sur le personnage de l’inspecteur Taïbo. Il m’a fait penser à un Colombo…comme s’il y avait une dimension parodique dans ce roman.

Parodique, je ne suis pas sûre. Pour moi, il ne ressemble pas du tout à un Colombo. Chacun voit quelque chose de très différent, d’ailleurs, avec ce personnage-là... C’est amusant parce qu’il n’a pas le côté débonnaire, un peu ringard et gentiment à côté de la plaque que peu avoir un Colombo. Taïbo est beaucoup plus mutique, par exemple… Mais c’est intéressant qu’on puisse mettre dans chacun des personnages notre propre imagerie personnelle.

Je pensais à un Colombo, ou à une certaine parodie, à cause des faits divers de départ : des cambriolages, dans une maison puis dans une bijouterie, où rien n’est volé…
Comment avez-vous eu cette idée ?

Je n’avais pas envie d’une vraie enquête policière, que les gens se fassent tuer au coin de la rue par ces deux jeunes gens…parce que c’est aussi l’histoire de deux jeunes gens qui vivent comme des coucous, qui habitent chez les autres, dans les villas somptueuses de cette ville de bord de mer pendant que les gens sont en vacances. Et cette vie de coucous qui pourrait être à l’orée de la délinquance, je ne voulais pas qu’ils y aillent totalement. Ils ont une amorce d’attitude un peu asociale, mais pas complètement. J’aimais bien cette posture d’équilibriste.

J’aimerais aussi revenir sur la relation mère-fille entre Vida et Paloma. Une relation fusionnelle mais qui s’est distendue…

C’était important, pour moi, de raconter dans ce roman la façon dont les liens peuvent se créer et se distendre. Vida a eu une petite fille, Paloma. Et pendant qu’elle était petite, leur relation était, en effet, ultra fusionnelle, idyllique…comme celle qu’on peut entretenir avec un tout petit enfant, une relation charnelle même comme avec un bébé. On le renifle, on le sent, on le tripote, on est dans quelque chose de très très physique. Et peu à peu, on doit se détacher. Vida le vit comme un certain arrachement, sans doute aussi parce qu’elle n’a pas grand chose d’autre dans sa vie que l’amour qu’elle porte à cet enfant… Or, Paloma doit prendre son envol, s’ébrouer et prendre sa liberté pour se détacher de sa mère qu’elle aime beaucoup…mais c’est très difficile, évidemment, de faire sa vie en ayant une mère comme Vida. Et toutes ces relations-là, leurs subtilités, m’intéressent. Les relations amicales aussi, celles justement de Paloma avec sa jeune amie, cette amitié fusionnelle qu’on peut avoir à l’adolescence.

Puis, vous abordez la question du couple, du mariage, dont vous faîtes un triste portrait à travers Vida et Gustavo…

Ça m’intéresse aussi de voir comment les gens peuvent vivre l’un à côté de l’autre sans plus se connaître, dans une sorte d’indifférence ni totalement hostile ni vraiment amicale…l’agacement qui peut se créer entre deux personnes qui vivent l’une près de l’autre. A un moment, Vida se demande si ce ne serait pas contre-nature de vivre les uns auprès des autres…elle cherche des réponses, Vida.

Pourquoi ce titre Des Vies d’oiseaux ?

Dans ce roman, au fond, ce que je raconte de ces personnages, ce sont leurs petits bouts d’existence, et leur vie. Pourquoi des oiseaux ? Je voyais à la fois toute la légèreté, le tragique des vies d’oiseaux, leur brièveté, évidemment, quelque chose de très volatile et de très important. En ce sens, mes personnages m’apparaissaient comme toutes sortes d’oiseaux : des perruches, des coucous… Et ça m’amusait beaucoup de les regarder, pour certains, prendre leur envol.

Une dernière question. Vous avez expliqué avoir connu vos personnages en même temps que vous les avez écrits. Aujourd’hui, le livre est fini, mais vous en parlez beaucoup puisque la période qui succède à la sortie d’un livre est une période très médiatique. 

Avez-vous l’impression que ces personnages continuent de vivre un peu au fur et à mesure que vous en parlez ?

Oui… Ce n’est pas qu’ils continuent de vivre parce qu’ils continuent de vivre en général pour nous, mais surtout, ils s’étoffent. A la fin de l’écriture d’un roman, on a l’impression d’avoir dit tout ce qu’on avait à dire et de ne plus rien avoir à ajouter. Et d’en parler, on est soi-même obligé de creuser, de faire une espèce d’enquête supplémentaire d’introspection pour voir qui étaient ces personnages. C’est comme si on leur donnait un relief supplémentaire en se repenchant sur eux. » *

Des Vies D’oiseaux
de Véronique Ovaldé
Editions de l’Olivier _ 2011

* Cet entretien a été réalisé dans le cadre de l'émission littéraire "Entre Paroles et Musique" diffusée sur RCF Isère et à l'occasion de la rencontre du 7 octobre organisée à Lyon par la FNAC entre les auteurs et les élèves de Lycées participant au Goncourt des lycéens 2011. 

Véronique Ovaldé est l’auteure de plusieurs romans. Depuis son premier roman en 2000, Le Sommeil des poissons (Seuil), elle a reçu plusieurs récompenses dont le Prix France Culture / Télérama pour Et mon cœur transparent (édition de l’Olivier, 2008), le Prix Renaudot des lycéens 2009, le Prix France Télévision 2009 et le Grand Prix des lectrices de Elle 2010 pour Ce que je sais de Vera Candida (édition de l’Olivier, 2009).


Bibliographie :

- 2000 : Le Sommeil des poissons, Seuil

- 2002 : Toutes choses scintillant, L'Ampoule

- 2003 : Les hommes en général me plaisent beaucoupActes Sud

- 2005 : Déloger l’animal, Actes Sud

- 2006 : La Très Petite Zébuline avec Joëlle Jolivet, Actes Sud Junior

- 2008 : Et mon coeur transparent, éditions de l'Olivier

- 2009 : Ce que je sais de Vera Candida, éditions de l'Olivier

- 2009 : La Salle De Bains Du Titanic, recueil de nouvelles hors-commerce, J'ai Lu.

- 2011 : Des Vies d'oiseaux, éditions de l'Olivier


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