Magazine Journal intime

XIV - Les mots sont importants partie 2

Publié le 15 octobre 2007 par Marwan

Les mots sont des soldats, les phrases des bataillons. Tous se joignent en ordre dans des armées paragraphes. On les envoie à la guerre en sachant qu’ils risquent d’y perdre leur sens. Des fois, des sentences commandos sont lancées pour porter le coup décisif, puis l’adversaire rétorque et on se retrouve de nouveau sur la défensive. Bataille argumentaire, orateurs amenés à débattre, joutes verbales et prises de becs, invectives qui montent en crescendo…

Les mots sont des musiciens, ils avancent en rythme cadencé, le pas stressé, portant leur fardeau, pressés. Ils ricochent et décochent, puis font des contresens en contrebas, accrochent ou rapprochent, une fois enlevée leur tenue de combat. Les mots sont des notes, qui cliquètent de coquillages en coquelicots, de clics et de claques, de Kafr el Dawar à Pimlico.

Epiques, comme dans une bataille de l’ancien temps, un combattant qui lève la tête et tente le tout pour le tout, jetant ses dernières forces dans une guerre qui n’est pas la sienne mais peu importe, mourir en homme vaut mieux que survivre en lâche et, s’il voit un jour de plus, peut être reverra-t-il les siens.

Compliqués, comme un expert qui essaie de briller en société, s’acharne sur des détails pour ne pas avoir à s’expliquer. On exclue le questionnement pour justifier son autorité et tant pis si son savoir, en réalité, n’est que chimère étriquée. Là sur vos écrans, on vous distille l’inéluctable quand, à force d’être ressassé, le mensonge le plus répandu devient vérité.

Doux, comme un bisou sur la joue de son enfant, comme le murmure de l’eau ou la voix réconfortante de maman. Comme une prière du soir adressée au Tout Puissant, à Celui qui apaise les cœurs, de pardonner nos erreurs et de changer notre tristesse en bonheur.

Forts, comme un torrent qui jaillit des flancs d’une montagne et court à toute vitesse vers les falaises, une chute vertigineuse dans une cascade. Un volcan qui gronde. Un père qui protège sa famille. Un enfant qui cherche son courage et affronte ses peurs pour la première fois.

Les mots font tout ça, ils sont capables de capter des émotions, des sons et des images pour les transmettre au-delà de notre présence physique. C’est ce qui les rend beaux, utiles et justes parfois. Dommage que certains fassent preuve de peu de scrupules à leur égard, les utilisent pour servir de vils intérêts et se cachent derrière eux quand on leur demande des comptes.

Le « marché » est l’un de ces mots qui porte beaucoup sur le dos. Economistes, traders, stratégistes, ministres et journalistes, tous parlent de lui comme de leur Guide. Il est leur enfant et leur père à la fois. Ils croient vivre pour et par lui. Ils pensent à lui, s’inquiètent quand il ne va pas bien, essaient de le sauver quand il est en crise. Comment va le marché aujourd’hui ? Il est tendu, il montre des signes de faiblesse. Son épouse, la croissance, a peut être décidé de le quitter… Le marché s’effondre, il plonge, il est en chute libre, il touche le fond et a du mal à se relever. Dans un contexte favorable, le marché se redresse. Quand la tempête conjoncture gronde, le marché tiens bon.

Blague de nolife très répandue (un « nolife » est un plouc de la finance):

- Combien d’économistes de Chicago faut il pour changer une ampoule ?
- Aucun, le marché s’en occupe.

Une telle blague, en plus de dénoter l’omniprésence et l’omnipotence que les sans-vie attribuent au marché, montre bien la vacuité intellectuelle, y compris en termes d’humour, dans laquelle tout ce petit monde évolue. Le marché monte et descend, il change de configuration. Le marché est complet. Le marché est parfait. Le marché à toujours raison. Tous les matins, la terre entière regarde ce que fait le marché, dans ce qui est devenu le plus grand reality-show de notre temps, diffusé minute par minute sur tous les écrans de trading du monde et influençant nos vies à tous.

Le discours de marché est un discours d’impuissance et, à ce titre, c’est précisément celui qui nous est tenu par nos gouvernants et leur cohorte d’experts et journalistes. Comme il est commode, ce personnage fictif que l’on rend responsable des hauts et des bas de l’économie (de marché) et qui endosse les responsabilités de nos défaillances.

Vu sous cet angle, la blague de l’ampoule à changer prend un tour différent : en acceptant l’idée d’économie de marché, les états renoncent volontairement à une part de leur responsabilités dans la conduite (économique pour commencer) du pays. Dans un pays libéral, les interventions de l’état dans ce domaine sont à minimiser et sont souvent vécues comme faisant partie d’une situation de crise. « Pas besoin de s’occuper de ça, puisque le marché s’en occupe » est une des attitudes clés du libéralisme. Elle signifie, dans cette théorie, que certains paramètres de notre économie s’ajustent naturellement par les lois de l’offre et de la demande qui régissent les marchés (y compris dans la dimension spéculative de ces lois).

La mondialisation est la mise en œuvre de la dimension expansionniste de cette théorie : pour faire plus d’argent il faut être plus grand, voire devenir de taille mondiale. Cette taille nous permet de vendre à plus de personnes et de choisir, sur le globe, les conditions de production les moins coûteuses pour maximiser l’intérêt des actionnaires, le seul qui compte.

Les états ont favorisé la mondialisation en se disant que l’ouverture des marchés permettrait à leurs habitants d’accéder à des biens de consommations à prix plus avantageux, tout en aidant leurs grandes entreprises à s’étendre à l’étranger et à conquérir de nouveaux marchés. Une fois le marché « ouvert », les seules règles qui comptent sont celles des intérêts économiques, dans tout ce que cette expression peut représenter : achat et vente spéculatifs, licenciements en masse pour améliorer les coûts de productions en diminuant le coût des salariés, ententes commerciales entre les grands groupes sur la fixation des prix au détriment des consommateurs, …

Les gouvernements ne peuvent pas faire grand-chose face à ce genre de manœuvre dont quasiment toutes sont parfaitement légales. Ils ont accepté eux même, sous couvert de progrès économique, de laisser le marché décider pour eux et de prendre un siège de spectateur assistant à l’évolution de leur pays, parfois « en bien », mais pour le bien de qui ?

Les mots des gouvernants sont donc, du fait même de leur rôle périphérique dans le fonctionnement des marchés, ceux de l’impuissance et de la position de principe. On parle ainsi du « train de la mondialisation » dans lequel la France devrait monter, au risque de « rester à la traîne » si elle échoue dans les réponses qu’elle apporte « aux nouveaux défis économiques de notre temps ». L’image du train est la plus révélatrice, car elle incorpore l’idée d’inéluctabilité que l’on allègue à la mondialisation et sa vision du progrès : on n’arrête pas un train en marche ; et si on s’avisait de se mettre en travers de sa route, on finirait bien vite écrasés sous ses rouages d’acier…

Quelques titres pris au hasard en première page des Echos du 2 octobre 2007 :

« Fusion ANPE-Assedic : ce qui attend les chômeurs »

« Nokia part à l’assaut du marché du GPS »

« Le président de Vinci plaide la cause des champions nationaux »

« Electricité : GDF profite de la libéralisation »

« Libéralisation totale du courrier à partir du 1er janvier 2011 »

« Walstreet pulvérise son record historique »

« Logiciels en ligne : Microsoft contre attaque »

« Croissance allemande : l’horizon s’assombrit ».

Notons pour commencer la différence de champs lexicaux utilisés lorsqu’il s’agit de parler des entreprises, puissantes et actives, comparées aux travailleurs et aux pays, qui subissent quasiment leur sort. « Ce qui attend les chômeurs » laisse entendre que les personnes sans emploi sont en phase passive où le gouvernement (et les entreprises) leurs imposent un certain nombre de règles qu’il ne peuvent que constater.

Ensuite, l’idée de « libéralisation » est montrée ici comme positive, elle est censée favoriser le développement de GDF et l’accès à de nouveaux opérateurs de courriers à partir de 2011. Le mot lui-même porte malhonnêtement en lui une partie la connotation positive de sa racine « liberté ». On est loin de la réalité qui pourrait ressembler à ça : la déréglementation progressive de la fourniture d’énergie a fait apparaître de nouveaux groupes privés qui vont se concurrencer et, au fur et à mesure, nous aider à passer contre notre gré d’un système d’approvisionnement par l’état, fiable et à bon marché à un système tributaire de la coordination entre des groupes d’intérêts forcément divergents ainsi qu’à une très probable hausse des prix quand il se seront entendus. Pour ce qui est du courrier, préparez vous à un mode opératoire compliqué pour envoyer une simple lettre, et acceptez l’idée de suppression de la plupart des bureaux de poste de campagne, et qu’importe si les personnes âgées devront faire des kilomètres pour récupérer leur courrier…

Le vocabulaire guerrier et sportif met en valeur l’esprit de performance et de compétition agressive : Un groupe « part à l’assaut » d’un nouveau marché, un autre « contre attaque », tandis que la bourse new-yorkaise « pulvérise son record historique », avant que le coach de Vinci ne vienne féliciter les « champions nationaux » comme des joueurs de football après un bon match. Efficacité, rapidité, rationalité, dynamisme, ambition, agressivité sont autant de mots qui peuvent qualifier tout à la fois un sportif et un manager « de talent ».

Mais voilà que le ciel gronde et que la tempête approche. Des nuages noirs se forment juste au dessus de nos voisins d’outre Rhin. Les femmes et les enfants rentrent se mettre à couvert, tandis que les plus courageux (financiers) se tiennent prêts à affronter l’orage (conjoncturel). Là, sous leur parapluies (fiscaux), vêtus de leur costume (gris), ils observent attentivement descendre leurs sauveurs comme des points noirs au milieu de la pluie. Equipés de parachutes (dorés), les chefs (d’entreprise) arrivent pour les secourir. La tension (spéculative) est à son comble. Le ciel menace. « Croissance allemande: l’horizon s’assombrit »…


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