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Le Solitaire

Publié le 31 décembre 2011 par Jlk

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Rhapsodies panoptiques (23)
…Et comme à l’accoutumée en ce dernier jour de l’an, selon votre calendrier, notre job est de veiller un peu partout dans le silence plus ou moins enneigé, et c’est toujours une mission de douceur particulière que ce travail de longer les fenêtres éclairées ou de s’arrêter sous les ponts, le long des terrains vagues et partout où le souffle humain se perçoit en buée, jamais on ne sent aussi seul qu’en ce moment-là de vivre avec eux la fiction d’un Temps qui bascule, puisque nous savons la réalité tout autre, mais nous jouons à dire MAINTENANT et je le dis aussi avec une solennité particulière en vous entendant dire et répéter APRÈS avec des espoirs variés, et je me laisse porter de MAINTENANT en MAINTENANT…
…Il va sans dire qu’on me croit inatteignable et cela ne fait qu’accroître mon sentiment lourd, mais telle est la loi des Médiations et Murmures à laquelle je suis soumis par l’Auteur ; or le fait est que cette vocation correspond à ma nature paisible ou disons pacifiée en des orages qu’on ignore, tant il est vrai qu’il n’y aurait pas de paix accessible sans rages ni tempêtes affrontées et plus ou moins domptées dans les temps d’AVANT, mais c’est une autre histoire que MAINTENANT où me voici par les allées de la nuit de fête aux fenêtres…
…Ils n’osent me penser voyeur : c’est à l’Auteur seul qu’ils imputeront ce qu’ils considèrent comme un vice en nous prêtant à nous autres des ailes et quelque mécanisme occulte pour les agiter, tout ça faute d’imagination et par crainte aussi des Puissances et des Trônes, ou par fascination pour le perpétuel Agité – mais plus que démentir j’appliquerai notre règle des Nuances et Précisions pour préciser à la nuance près que regarder MAINTENANT est plus que se rincer l’œil, comme ils disent : que regarder est prendre garde et qu’aux fenêtres telles est ma vocation de veiller plus que de prier…
…Donc aux fenêtres je veillerai MAINTENANT, il a neigé blanc tout le jour et le jour déclinant il neige noir ce soir et je m’enveloppe de ce noir ardent de ma solitaire douceur, MAINTENANT je les dévisage, les masques font leur théâtre mais je vois sous les masques, je vois les mains, je vois les gestes, je vous regarde, je fais attention, je serai très attentionné toute la soirée de ce MAINTENANT, j’exercerai mon droit aux médiations réparatrices et aux murmures consolateurs, cependant n’attendez point de ma part chattemites et minauderies de nitouches car de loin en loin il me sera loisible aussi de déchaîner ires voire extermination de moches délires…
…L’humanité belle me fait respirer : me ferait battre des ailes si j’en avais. Aux fenêtres je ne vois pas qu’elle mais elle y est : elle y est partout. MAINTENANT que je suis aux fenêtres d’une cité pas mal disgraciée de Moundou, loin de la neige des maisons de l’auteur et de son gang, je la repère et fais rapport circonstancié ; et quand trop de peine m’apparaît aux fenêtres je recours à mes magies de marabout non déclaré et j’y vais de mes consolations et de mes mélodies bluesy, nul mur ni muraille n’y résiste : et si ça se trouve je sors mon brumisateur de joyce et brumise alors en ordonnant aux murmures la diffusion du vocable REJOYCE - je sais bien que ce n’est pas le Pérou mais MAINTENANT que je rôde par les hauts de Lima je respire et soupire devant tant d’humanité bonne que je continuerai de chercher tout à l’heure à Trona…
…Ce que je ne saurais souffrir en revanche, ce que nos instances secrètes ne laisseront pas se faire est l’injure au vocabulaire qui fait du solitaire un diamant à greluches souriant à faire pisser le sang des gens par le maudit minerai. Partout au monde et MAINTENANT, j’veux dire MAINTENANT, à Kono où je passe en coup de vent, à Tongo Field où le froid me transit, cette insulte au vocabulaire me transforme au point de ne plus voir partout qu’homicide et génocide – mais là je me sens impuissant aussi devant les Trônes et les Puissances adverses, là tout bascule et c’est MAINTENANT que Trona gagne, j’veux dire : le désespoir de Trona…
…Mais les groins humains se défendent. Qu’on a déjà donné, qu’ils me disent. Que mes états d’âme ils s’en tapent, ils me disent sans me parler vu que je perçois tout aux regards. Que le trou du cul du monde de Trona est le vrai royaume où tout est vrai de la plus vraie mocheté. Et là, MAINTENANT, ce sont de moches regards : faut pas se leurrer. Regarde ce qui vient là : regarde le Mal aux axes mensongers qui disent que tout est vrai à Trona. Regarde le trône abject de l’église aux barbelés dont l’entrée se paie de ne plus croire en rien. Je sais. Je sais ce que c’est. Je sais que c’est moche l’humanité et que ça pèse comme un vrac de tout-venant ; et c’est aussi de ça que je suis censé faire rapport - et l’Auteur avec son sac de diamants ; et que lui aussi ça lui tombe dessus ce soir comme un poids, lui qui va se trouver tout à l’heure tout entouré d’humanité bonne qui le trompera sur tout ce qui pèse là-bas un peu partout, de Trona au Nord-Kivu et de Saga à Gaza - le poids des armes et partout et MAINTENANT, le prix des larmes…
…Sur quoi je me rappelle combien c’est hors de leurs règles et règlements que de n’être qu’un esprit et de témoigner pour l’éternité de tout ce qui a trait à l’intimité de chaque mortel, et je me dis une fois de plus, à fumer avec eux sur leur balcon de nuit enneigée, combien je me sens las de n’être qu’un esprit passant, ce soir j’aimerais que ce survol éternel se termine enfin, ce soir j’aimerais sentir en moi un poids, ce soir j’aimerais sentir qu'imine autre densité même mortelle abolisse l’illimité et me rattache au monde de ce cercle de fumeuses et de buveurs et de buveuses et de fumeurs, j’aimerais à chaque pas, à chaque coup de vent, pouvoir dire MAINTENANT, et MAINTENANT, et MAINTENANT, au lieu de dire DEPUIS TOUJOURS ou À JAMAIS, enfin ce soir bon sang puissé-je m’asseoir à la table de Lady L. et de ses hôtes comme j’aimerais, plus tard dans le noir, m’asseoir à la table d’inconnus, là-bas à Gaza ou à Trona, jouant aux dés ou aux cartes, pour être salué d’un simple geste amical, ou regarder les gens et en être regardé simplement comme ici, au-dessus du lac noir et des bois transis - mais la mélancolie m’a repris en songeant que lorsqu’il nous arrive de prendre part, nous autres les Assistants & Messagers, nous ne faisons que simuler et que, dans ce combat en pleine nuit on a fait semblant, on a simulé une luxation de la hanche dans le combat avec le videur de boîte, comme on feint d’attraper le lynx dans leur foulée, comme on feint de s’asseoir dans le cercle où ils se sont assis pour écouter l’un d’eux sous le grand tamarinier du bord du fleuve, puis de boire ou de manger en leur compagnie, quand ils font rôtir des agneaux devant la yourte purifiée à la fumée de genévrier, quand on sert du vin sous les tentes du désert, quand le vent se relève et que tous s’en vont…
...Personne n’a remarqué, cela va sans dire, que je me suis tiré dans la nuit après avoir fait semblant d’écouter les uns et les autres et de fumer, de boire, de faire comme si, et là je me retrouve dans la neige noire, je voudrais dire : le cœur plus léger, si j’avais un cœur, je voudrais dire : l’âme plus claire si je pouvais me dédoubler, mais chacun son job n’est-ce pas et là, je le sens, on m’appelle MAINTENANT partout, même si je ne fais que simuler je sais que ceux qui le demandent se figurent que je prends part, même sachant que j’ai feint de ne pas voir que l’enfant était mort dans les bras de sa mère à laquelle j’ai imposé les mains, même sachant que mes pouvoirs sont peu à près vains, même sachant que je ne fais peut-être que vaporiser de bons sentiments, va savoir - il y a peut-être de quoi désespérer mais j’fais mon job…


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