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Pour l'histoire : à propos du cardinal Tarancón, archevêque de Madrid (1971-1983)

Publié le 10 janvier 2012 par Hermas

Au cours des années passées, nous avons publié des témoignages de Mgr Masson (+) sur les années noires de la crise de l’Eglise de France, qui n’ont pas encore leur historien, car le présent est encore trop dépendant de ce récent passé. Nous insistions alors sur le fait que ce travail entrait dans un nécessaire effort de lucidité sur l’histoire catholique récente de ce pays.

Voici un témoignage analogue qui nous vient, cette fois, d’Espagne. Il émane également d’un prêtre, M. l’abbé José Antonio Fortea Cucurull. Après avoir fait ses études de théologie à l’Université de Navarre, puis d’histoire de l’Eglise à la Faculté de théologie de Comillas, M. l’abbé Fortea a été incardiné dans le diocèse de de Alcalá de Henares (Madrid). Auteur d’une thèse de licence sur l’exorcisme, dirigée par le secrétaire de la Commission pour la Doctrine de la Foi de la Conférence épiscopale espagnole, il prépare actuellement sa thèse de doctorat de théologie à Rome.

Ce témoignage est relatif aux ravages opérés également en Espagne par l’illuminisme clérical qui s’est emparé des esprits au lendemain et au nom d’un Concile qui était d’autant plus invoqué qu’il était mieux trahi. Il se rapporte à l’une des grandes figures de cette époque, le cardinal Vicente Enrique y Tarancón (1907-1994), protégé du Pape Paul VI. Ce fut lui qui, notamment, prononça, à la fin de la période franquiste, l’homélie du couronnement du roi Juan Carlos (1975).

Source : “Le cardinal Tarancón : l’heure de l’analyse est venue”, in “El Blog del Padre Fortea” (Intereconomia).

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Le cardinal Tarancón était un grand homme. Je ne vais cependant pas m’attacher à ses vertus, car il y aurait beaucoup à dire. Aujourd’hui, je préfère parler de ses défauts.

J’ai pour principe de ne pas critiquer les ecclésiastiques. Je n’y fais exception que lorsque les condamnations de Rome s’accumulent. Dans ce cas, je me sens autorisé à attiser un peu le feu.

Avec le cardinal, d’ailleurs, c’est différent. Mort depuis longtemps, et il est déjà l’objet d’une froide analyse. Avoir de la charité à son égard, ce serait comme avoir de la charité à l’égard de Napoléon.

Le cardinal a toujours agi de bonne foi, toujours cru être dans la ligne du Concile Vatican II. Etre dans cette ligne l’a persuadé que ce qu’il faisait était bien. Ce fut un homme tolérant, un homme de dialogue et un amant de la liberté. Du moins, était-il ainsi avec les progressistes. En revanche, il appliquait à tout ce qui lui paraissait conservateur, comme on dit en espagnol, du “sirop de bâton”, c’est-à-dire qu’il persuadait à coups de claques.

Il fermait toujours à moitié les yeux sur ses bons enfants libéraux. Tant qu’ils ne mettaient pas le feu à l’église, ils pouvaient y faire ce qu’ils voulaient. En revanche, il fut implacable avec les fils obéissants et aimants de la tradition.

Le cardinal Tarancón fut considéré comme une sorte de héros par de nombreux évêques espagnols des années 70 et 80. Il jouissait de tous les éloges possibles de la part des politiciens. Très respecté à la Curie romaine, aimé par les partis de gauche, et ainsi de suite. Mais l’Histoire devait se venger de la manière la plus inattendue : Jean-Paul II.

Le Pape polonais a fort bien connu le cardinal en question. Les détails de la pensée très défavorable de Jean-Paul II sur Tarancón ont très peu filtré. Il y a quelques mois, a été publié dans la presse un papier de Enric Juliana sur le sujet. Il ne révélait cependant rien de nouveau. Il suffit de lire les mémoires de Tarancón lui-même pour se rendre compte, par leurs silences, de ce qu’il pensait de Jean-Paul II. Personnellement, je dispose d’une information personnelle (non publiable) d’un évêque qui m’a expliqué certains détails de ce dont je parle ici.

Ce qui est certain, c’est que Jean-Paul II eut pleine conscience de ce que les jugements de Dieu n’étaient pas ceux des hommes. Il a très clairement vu que la dynamique promue par Tarancón conduisait l’Eglise à sa destruction. Tarancón, à titre personnel, pouvait être très sociable, très agréable, très ouvert au dialogue, mais comme gouvernant de l’Eglise, il suivit un chemin erroné.

Deux hommes, deux diocèses. Il suffit de voir comment le Cardinal de Tolède (1) a laissé son diocèse, et comment le Cardinal Tarancón a laissé le sien. Or nous parlons pratiquement des mêmes années et d’un clergé similaire. Les deux diocèses étaient géographiquement limitrophes mais, ecclésiastiquement, à des années-lumière.

Je n’écris pas ces lignes dans un désir de revanche. Je n’ai rien de personnel contre Tarancón. J’aime toujours à bien parler du clergé. Mais nous ne devons pas nous laisser séduire par des chants de sirènes. Parce que ces mythes trompeurs peuvent exercer leur influence sur le présent. Les choses doivent être bien claires : l’arrivée de Tarancón a marqué le triomphe absolu des thèses ecclésiales les plus extrémistes.

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Le cardinal de la liberté et de la tolérance a en effet provoqué un tremblement de terre spirituel qui a ruiné l’édifice invisible de l’Eglise pendant une génération entière. L’histoire aurait été toute autre si don Marcelo (1) avait été l’archevêque de Madrid. Et je ne dis rien de ce qu’il aurait été si Mgr Guerra Campos avait occupé ce siège. Tarancón, lui, a promu aux principaux postes de l’archidiocèse un grand nombre de prêtres qui se sont consciencieusement employés dans l’art de la démolition (photo : Mgr Guerra Campos).

Je me réserve les douloureux détails de l’histoire de tant de loups qui se sont faits gardiens du troupeau. Je n’entre pas non plus dans les détails de la terrifiante ampleur de la destruction. Mais une génération plus tard, il est devenu temps d’appeler les choses par leur nom.

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(1) Il s'agit de Mgr Marcelo González Martín (1918-2004),  archevêque de Tolède de 1971 à 1995 et créé cardinal par le Pape Paul VI en 1973.

(2) Mgr José Guerra Campos (1920-1997), évêque de Cuenca de 1973 à 1996. Très attaché au régime du Général Franco et à la catholicité de l'Etat, hostile à certaines réformes engagées par le Concile Vatican II, il s'opposa publiquement à la Loi de Réforme politique (1976) qui a ouvert la voie à l'instauration de la démocratie en Espagne. Il se fit le protecteur de prêtres français, qu’il accueillit en son diocèse, alors que ceux-ci ne trouvaient pas ou plus de place dans le leur. Le séminaire de son diocèse ne connut pas la crise qui en affecta tant d'autres. Il mourut saintement en 1997 dans un couvent de Barcelone. La cause de béatification de celui qui, après bien des injustices, a été présenté par l'un de ses successeurs comme un "homme humble, et, en même temps, sage et de pensée profonde", a été introduite. 

 


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