Magazine Bd & dessins

Hong Kong Mysteries: Chapitre 3

Publié le 06 mars 2008 par Fred Boot

Résumé: Lau, Jade et Bocho sont réunis autour d'une table du Printemps Bleu. La jeune fille s'apprête à raconter son passé...
---

CHAPITRE III
Jade
Jade avait passé la plus grande partie de son enfance avec sa grand-mère. On imagine à ces mots une existence faite, si ce n’est d’amour, au moins d’affection : il n’en était rien. La vieille avait une profonde aversion pour cette enfant, sans que Jade n’en comprit la raison. Ses premiers souvenirs remontaient à sa sixième ou septième année, le reste étant étrangement occulté.
Une vie morne, sans sourires, dans un petit appartement de To Kwa Wan, au sein d’un vieil immeuble crasseux qui avait connu l’ancien aéroport, aujourd’hui voisin de beaux buildings neufs qui vendaient un luxe de pacotille. Jade, dans les premières années, avait vécu avec sans grand-mère et son père : un être sans émotion, apathique, dont les deux seules activités notables étaient de porter des cageots de légumes et de jouer au Mah Jong.
Car l’on jouait beaucoup. Quasiment tous les soirs, des individus qui sentaient la sueur, fumaient du mauvais tabac et parlaient fort se réunissaient autour de la table carrée, seul objet ayant conservé son éclat, pour y bâtir des petites murailles de dominos avant de piocher à l’intérieur.
Lors de ces soirées, les discussions se limitaient souvent aux mots désignant les combinaisons. Parfois, la vieille demandait rudement à Jade d’apporter la bouteille de bière laissée au frais, ou bien de vider les cendriers. La gamine se prenait de temps en temps une talonnade si elle ne réagissait pas promptement: aucune excuse n’était acceptée, pas même l’exercice de mathématique à finir pour le lendemain ou l’heure avancée.
Un être manquait cruellement à ce tableau : une mère aimante. Jade n’avait jamais connu la sienne et ne savait absolument rien d’elle. Les rares questions posées à son père restaient sans réponses : se grattant la couenne, le bonhomme ne poussait qu’un soupir fatigué et en restait là.
La grand-mère, par contre, aimait à s’amuser avec les sous-entendus. Malheureusement, il était difficile pour Jade, à cet âge trop jeune, de comprendre toutes les allusions.
Dans cette existence morne, la seule liberté de Jade était de regarder les émissions TV où participaient les pop-stars du moment. Elle aimait chanter ces reprises commerciales, le jeu de sa voix était son seul loisir.
Un jour, son père disparut du quotidien. Il ne laissa pas un grand vide. Jade doutait qu’il fut parti en voyage d’affaire. Cet événement eut cependant son importance : les pincements, railleries et raclées de la vieille redoublèrent.
« Qu’est-ce que je vais faire d’une imbécile comme toi ? Tu fais quoi à part beugler tes niaiseries ? T’as aucun talent, tu comprends ? Tu viens de nulle part, t’iras nulle part ! Apprends plutôt à ligoter les salades, parce que c’est derrière une étale en bois que tu vas finir. »
Ainsi passèrent les années et son quotidien insupportable. Lorsqu’elle eût 13 ans, un accident eut lieux qui changea sa vie.
Les joueurs étaient réunis autour de la table, la vieille lançant ses blagues salaces avec sa voix rude pour les faire rire. Une radio, véritable pièce d’antiquité qui avait survécu miraculeusement à l’humidité et aux années, passait quelques chants traditionnels. Peut-être qu’on avait un peu plus bu que d’habitude, quoiqu’il en soit tout le monde riait bruyamment. On demanda une nouvelle bouteille à Jade. Lorsqu’elle chercha à sortir de la cuisine, l’un des hommes lui barra le passage.
« Eh la vieille ! Tu sais que ta môme elle grandit à vitesse grand V ! Regarde-moi ça, on l’a connue grosse comme une ficelle !
-Pardon, je voudrais passer…
-Eh, du calme, gamine ! Je veux juste causer un peu… T’aimes pas les blagues ? »
Tout en lui parlant, il posa ses mains sur ses frêles épaules. Elle pouvait voir tous les détails de son visages mal rasé où pointait ça et là un peu de crasse . Violemment, elle se dégagea.
Ce comportement ne plut pas à la grand-mère qui, prise de colère, se mit à la battre violemment tandis que les joueurs riaient de plus belle. Peut-être que ce furent ces rires qui poussèrent Jade à commettre l’irréparable.
Repoussant violemment le bras de sa grand-mère, elle prit une lampe posée non loin d’elle et en éclata l’ampoule sur le visage de la vieille.
Celle-ci recula en hurlant à la fois de rage et de douleur. Tout le monde se tût.
Jade, sans attendre, prit la fuite. Un commerçant de bazar la retrouva le lendemain matin cachées entre de vieux ordinateurs entreposés. La voyant tremblante, en état de choc, il prit soin d’appeler aussitôt la police.
La gamine passa les années suivantes dans plusieurs résidences pour enfant et adolescent. La grand-mère se fit passer pour une femme affable, comprenant qu’elle avait tout à perdre si une enquête devait être menée dans son taudis. Dans le quartier, on l’appelait la Chouette : le coups de Jade avait rendu ses yeux véron. Il va sans dire que derrière ce jeu d’humilité, la haine qu’elle entretenait pour Jade avait décuplé.
Considérée en partie comme délinquante et en partie comme victime, le quotidien de l’adolescente ne se fit pas beaucoup plus coloré. Elle eut cependant la chance de rencontrer une jeune fille au nom ridicule de « Chippie » qui devint sa meilleure amie.
Trois ans passèrent ainsi, à tenter de suivre une scolarité médiocre, et à percevoir comme seule issue une carrière de coiffeuse. Pourtant, Jade continuait de rêver de scène, de chansons à succès et de romances de starlettes.
Elle en était là. Sans réelle famille, sans avenir, et avec une ambition bien trop grande pour elle.
« Je sais bien que c’est pas évident, dit-elle pour finir. Le proverbe dit que derrière la montagne il y a toujours une autre montagne… Mais je pourrais tout aussi bien rêver d’une vie comme celles des filles de mon âge, une vie de shopping, de restos sympas et tout ça, que je ne l’aurais pas plus… Alors autant vouloir le meilleur. »
Bocho, qui avait écouté le récit en silence sembla acquiescer, au grand étonnement de Lau.
« Bon, c’est à moi maintenant de vous dire mon histoire ! Vous avez sorti les mouchoirs, mais avec moi on passe au lourd et au sérieux ! Écoutez donc la goualante du pauvre Bocho ! »


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossier Paperblog

Magazines