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Hong Kong Mysteries: Chapitre 4

Publié le 07 mars 2008 par Fred Boot

Résumé: Autour d'une table, Lau, Jade et Bocho se présentent. C'est au tour de Bocho de parler de lui.
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CHAPITRE IV

Bocho
Bocho n’ était pas son vrai nom. L’utilisation de ce patronyme était liée à la nature même du personnage, comme son récit allait le prouver.
Une grande partie des hong kongais ont la chance de pouvoir choisir un de leurs prénoms : cela est bien entendu lié à l’occupation anglaise passée qui demandait aux cadres et aux principaux interlocuteurs de prendre un nom mieux adapté à la langue de Shakespeare. Ainsi, lorsque les démarches administratives se font plus pressantes, le jeune de Hong Kong peut piocher dans une bibliothèque quasi illimitée de patronymes, ce qui peut donner aux yeux des occidentaux un côté saugrenu.
Bocho ne s’appelait pas Bocho : son prénom anglais était Daisy. Il n’avait peut-être toujours pas conscience du ridicule de ce choix, d’autant plus ridicule qu’il se posait après tout comme un gaillard dont on se méfiait et dont on disait « Ce garçon n’est pas un loulou (comprendre : un idiot) mais il a le bulbe d’un singe fou. »
De toute façon, dans sa prime enfance on ne l’avait appelé que par son nom chinois et ce sobriquet de Bocho n’arriva que des années plus tard, lorsqu’il dût abandonner l'école pour se faire équarisseur de porcs.
« C’était un boulot qui me convenait. Tous les jours, le même turbin : le plus difficile c’était de se réveiller tôt et d’avoir les contremaîtres sur le dos. Mes parents ont cherché par tous les moyens à m’éduquer, mais j’y peux rien : je suis un rebel dans l’âme, mec, et à part ta raclée pas grand chose pourrait me faire plier. J’aime pas la discipline, mais dix heures par jour, je devais me farcir de sacré abrutis en guise de patrons.
Mais tu vois, même si on peut pas dire que ce soit jouasse de bosser à Kwun Tong, le boulot me plaisait. Je sais pas si t’as déjà pu découper un porc, Lau. Non ? Tu devrais tenter, de la découpe à la scie circulaire au dénervage. J’étais un peu déçu de ne pas pouvoir être à l’abattoir histoire de tuer, d’éviscérer et de couper en deux la bête moi-même. Mais je me consolais autrement : la découpe m’offrait plus de diversité, tu vois.
Au fil des semaines, je prenais de plus en plus de plaisir à débiter et à désosser les bêtes. Tant que tu n’as pas essayé, tu ne peux pas comprendre le plaisir de déraper sur un os ou d’éplucher un muscle, de ne pas te faire piéger par un abat intestinal, ou de couper une épaule correctement.
Le problème, tu vois, c’est que ça se transformait en passion, voire en rage. La qualité de mon travail s’en ressentait : le piéçage était fait à la va-vite, mais surtout je ne prenais plus soin de nettoyer ma table de travail. D’une moitié de porc, ne restaient que des morceaux épars, des morceaux d’os mal retirés. Mais la découpe, la découpe mec, me procurait comme une jouissance, et je crois que ce spectacle de voir à chaque fois ces porcs mutilés redoublait mon énergie à désosser, parer, couper, trancher, trancher et encore trancher.
Je perdais le sens du temps, je ne voyais plus le reste du groupe de travail. Un jour, pris d’une excitation soudaine, j’envoyais valser un morceau de longe récalcitrant. Le chef de service vint vers moi et se mit à m’engueuler et à me traiter de tous les noms. Pour finir, il m’annonça que j’étais viré.
Moi, j’étais resté sur mon image de carcasses et de porcs, tu comprends. Quand il m’a sorti ça, t’imagines la douche froide. J’ai regardé le couteau que je tenais en main, un Bocho, un de ces couteaux japonais super effilés. Une radio passait un classique hong kongais : « Lorsque j’embrasse ta main salée, tous les parfums d’une nuit d ‘été, se fondent en nous, une éternité… ».
Et j’ai frappé. Un coups, puis deux. Puis encore un, avant d’être saisis par quelqu’un. Il a fallu plusieurs minutes avant que je retrouve mes esprits, j’étais comme enragé.
Heureusement pour moi, le patron s’en est sorti et je n’ai eu le droit qu’à 6 ans de prisons ferme. Je peux te dire que j’en ai bavé, mais pas à cause de l’enfermement et des brimades des mâtons. D’accord, les premiers jours c’était le bizutage, dormir sur une carpette puant la pisse, devoir refaire vingt fois le même trajet avant de saluer le gardien, et j’en passe. Non, le pire c’était les rêves. Parce que j’avais du remord, tu comprends ? Et chaque soir, je revoyais le centre d’équarissage. Des porcs fendus en deux se tenaient debout, en fil indienne, et je les écharpais à toute vitesse. Parfois, un visage humain, celui de ma victime ou celui d’un de mes proches, prenait la place de celle du porc. Mais il me fallait continuer ma besogne, tu comprends. Dix, cent, mille porcs humains passaient sous mes couteaux, me recouvrant d’un sang noir capiteux. Et la chanson, mon vieux, cette putain de chanson était de plus en plus forte. Et je devais couper, encore et encore. « Lorsque j’embrasse ta main salée… ». Mais le pire, mec, le pire c’est qu’en passant sous la lame de mes couteaux, le regard de ces visages porcins et humains à la fois avait la douceur de celui de ma mère !
Cela a duré plusieurs années. Puis je suis sorti de taule le même jour qu’un ancien faussaire qui m’avait mis une rouste durant mon emprisonnement. C’était le Prof. Il s’est fait refaire entièrement le visage en Thailande depuis. Tu verrais le résultat : un vrai tangram. Il paraît qu’il continue ses sales coups du côté de Shenzen. Bref passons.
Forcément, je ne pouvais plus continuer comme équarisseur. Faut dire qu’avec tous les virus qui sont apparus entre temps, c’était pas un mal. Alors j’ai proposé mes services comme docker. Je suis cariste. On m’appelle dans les coups de bourre. Parfois, on me paye pour faire peur à des types. Ma réputation m’a suivi. Et pas seulement elle : certaines nuits, je fais encore ce rêve, je vois encore cette file de porcs humains qui s’amoncellent sous mes coups. »
Bocho s’arrêta, l’œil hagard.
Ce fut à cet instant qu’entra l’agent de police.


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