Magazine

Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors...

Publié le 08 février 2012 par Fabrice @poirpom
Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors...
  • Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors ne doivent pas être amenés (si on a besoin d’un accessoire particulier pour l’histoire, choisir un endroit où cet accessoire est présent).

Résidence Carmencita. Avenida Maria Teresa Toro, entre Calle Cuba y Centroamerica. Située à une demie douzaine de pâtés de maison de la station Los Símbolos. À quelques détours de La Bandera, autre station de métro, point de rencontre avec U-Lee et Marilou.

Nuit noire. L’éclairage public est une éventualité, pas un automatisme. Et dans ce quartier, tant pis.

  • Le son ne doit jamais être réalisé à part des images, et inversement (aucune musique ne doit être utilisée à moins qu’elle ne soit jouée pendant que la scène est filmée).

Dans le vacarme de la circulation, U-Lee peine à placer l’explication de sa gueule amochée, l’arcade sourcilière sombre et gonflée.

Me suis pris le coude d’une nana dans la rue… Le truc a triplé de volume en deux heures.

Ce p’tit côté singe de l’espace lui va à ravir. S’accorde à merveille avec son look savamment négligé.

Agrippée à son vieux vélo de ville, elle ouvre la marche.

  • La caméra doit être portée à la main. Tout mouvement, ou non-mouvement possible avec la main est autorisé. (Le film ne doit pas se dérouler là où la caméra se trouve; le tournage doit se faire là où le film se déroule).

Ponctuellement, elle s’arrête. Fouille dans sa besace et sort un vieux compact 24x36. Elle vise une porte, un lampadaire, la rue au loin. Déclenche, sans flash. Fourre l’appareil dans sa besace. Reprend la marche.

  • Le film doit être en couleurs. Un éclairage spécial n’est pas acceptable. (S’il n’y a pas assez de lumière, la scène doit être coupée, ou une simple lampe attachée à la caméra).

U-Lee en contre-jour en pleine nuit. À chaque passage de voiture, elle se détache du noir et son vélo scintille. Puis elle disparait. Derrière, les phares esquissent Marilou et Jou-Jou qui peinet à suivre. Elle sort du boulot, elle porte des talons, elle avait pas prévu de marcher, elle râle. Jou-Jou sympathise alors il traîne avec elle. La voiture s’éloigne, deux points rouges persistent, Jou-Jou et Marilou disparaissent dans la nuit.

  • Tout traitement optique ou filtre est interdit.

Une ampoule fixée au mur. Carmencita écrit en dessous. Plus bas, jusqu’au sol, un graff’. Un sein avec des jambes.

  • Le film ne doit pas contenir d’action de façon superficielle. (Les meurtres, les armes, etc. ne doivent pas apparaître).

La grille est fermée. Deux autochtones, apparemment résidents, déboulent en douceur, ouvrent la grille et nous laissent rentrer. U-Lee cale son vélo sous le sein à guiboles et s’avance dans le passage qui longe la Carmencita, vieille bâtisse d’un étage. Au bout du noir profond, un seul repère: une ampoule encore en vie, sœur de celle fixée au mur de façade.

  • Les détournements temporels et géographiques sont interdits. (C’est-à-dire que le film se déroule ici et maintenant).

Le film a commencé il y a une dizaine de minutes. Diffusé dans une grande pièce blanche plongée dans la pénombre. Éclairée uniquement par la lampe du vidéo projecteur.

  • Les films de genre ne sont pas acceptables.

En bas, des sous-titres anglais. En haut, des sous-titres espagnols. Au milieu, une famille bourgeoise danoise s’installe tranquillement, dans la bonne humeur, pour célébrer les soixante ans du patriarche dans l’hôtel restaurant qui lui appartient.

  • Le format de la pellicule doit être le format académique 35mm.

Le grain de l’image, la mise au point parfois hasardeuse, le souffle du son. Tout cela ne pose aucun problème.

  • Le réalisateur ne doit pas être crédité.

Pendant une heure et demie, Thomas Vinterberg en fout plein la gueule avec le camescope de papa, trois bouts de ficelle et une brochette de comédiens qui déchirent le slip tellement ça pète à l’image.

Festen, l’un des tous premiers films du Dogme 95. Dix règles arbitraires, élaborées par Lars Von Trier et Thomas Vinterberg. Mini fascisme cinématographique.

Dépouiller pour se concentrer.

De plus je jure en tant que réalisateur de m’abstenir de tout goût personnel. Je ne suis plus un artiste. Je jure de m’abstenir de créer une « œuvre », car je vois l’instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est faire sortir la vérité de mes personnages et de mes scènes. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de mon bon goût et de toute considération esthétique.

Quelques années plus tard, Lars Von Trier admettra qu’ils ont pondu ces règles un soir de beuverie, coincés entre deux piliers de comptoir d’un bar de Copenhague. Un pari de pochtrons.

Et ainsi je fais mon Vœu de Chasteté.


Retour à La Une de Logo Paperblog