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My crazy rabbit

Publié le 09 février 2012 par Cochondingue

Pour comprendre la fatalité qui s’abat sur moi à chaque fois que je mets un pied dehors, il faut connaître les 3 postulats immuables qui régissent ma vie.
A- Devoir parler Anglais me plonge dans une profonde catatonie. Je bégaye, je cherche mes mots, je ruisselle. Bref, ce n’est ni beau à voir, ni à entendre.
B - Mon sens de l’orientation est tel que je me paume régulièrement dans ma propre rue.
C - Je suis un appât à touriste. Un touriste perdu dans une foule, me choisira au milieu de mille individus, quitte à devoir traverser le périph en zigzaguant entre les 20 tonnes, dévaler des escalators en sens contraire ou piétiner ceux qui lui barrent malencontreusement la route. Le touriste m’aime au 1er abord, mais malheureusement pour lui ce n’est pas réciproque. Forcément, ses torts sont multiples :
- D’abord il parle généralement Anglais
- Et pour finir il me demande son chemin, alors que soyons sérieux, est-ce que j’ai vraiment une gueule de GPS ou de plan de Paris ?
Bref, le touriste se met le doigt dans l’œil jusqu’à la glotte en croyant s’adresser à la personne adéquate pour le renseigner. Et s’il connaissait les règles A et B qui régissent ma vie, il comprendrait qu’elles sont totalement incompatibles avec une bonne résolution de l’axiome C.
Je ne vous mentirai pas, d’habitude je fuis. C’est lâche, je l’admets, mais c’est une question de survie. Des Japonais en arrêt au croisement de 2 rues me font rebrousser chemin. Une vieille Anglaise qui me hèle, je prends mes jambes à mon cou en hurlant : Let me go ! Let me go !
Tout cela demande beaucoup de réactivité et de rapidité. Alors fini les petits talons, la jupette et autres vêtements incompatibles avec la ninja attitude. Du noir pour passer inaperçue, du confortable pour se fondre dans le décor, et surtout de bonnes baskets pour courir vite et semer les importuns, C’est la seule méthode pour s’en sortir.
Malheureusement il y a des cas où toute retraite est impossible, où le piège s’est déjà refermé sur moi.
Alors j’essaye d’avoir du courage et je me dis que ce n’est qu’un très mauvais moment à passer. Un peu comme un rendez-vous chez le dentiste, mais en pire.
Dans le RER, un jeune homme me regarde m’asseoir, les yeux soudain illuminés comme par une apparition divine.
La conversation suivante se passera intégralement en Anglais. Pour une meilleure compréhension générale (et parce que je n’ai pas envie d’écrire avec un dictionnaire Français - Anglais sous les yeux), je traduirai ses propos en Français.
- Bonjour ! J’adore votre sac Lapins Crétins ! Ma copine et moi on fait collection ! On a tous les objets dérivés des Lapins Crétins. Mais cette besace, je ne l’avais trouvée nulle part. Vous l’avez achetée dans quel magasin ?
- Euh… It’s not in a shop... but on a website.
- Oh, sur un site ? Il s’appelle comment ? Les lapins crétins ?
- No euh… Not the crazy rabbits. Ubisoft I think.
- Ubisoft ? Vous connaissez l’adresse ? Ubisoft.fr ou .com ?


Bordel, tu ouvres google, tu tapes ubisoft, tu trouves le site et t’arrêtes de me prendre la tête, ok !
Mais à la place, je réponds :
- I don’t know, but you can search on Google.
J’ai l’impression d’être à l’oral du bac. Je me sens moite, je défaille. Je perds un neurone par seconde. Bientôt il n’en restera plus. Je suis au bord de l’apoplexie. Mon débit est si lent qu’on dirait qu’on passe la scène au ralenti. Mon accent est pitoyable. Même une vachette basque aurait un meilleur accent que le mien.
Mais le type continue à parler comme si de rien n’était, il est intarissable. Je me demande pourquoi je ne me suis pas acheté un sac à main de bonne femme. Un truc en cuir noir basique. Les Lapins Crétins c’était vraiment un plan foireux et qui ne va pas du tout avec la ninja-attitude.
- Et quel est votre jeu préféré aux lapins crétins ?
- Euh (long silence) (il attend). I am a championne of the dancefloor. I have the rythme in the skin.
Le mec se marre.
- Yeaaah !
J’ai perdu 3 litres de transpiration. A la base je me rendais à un brief dans une agence de pub. J’avais envie de faire bonne impression, vous voyez. Le matin, j’avais pris ma douche, je m’étais maquillée et parfumée. Normal quoi. Je ne comptais pas trop puer la morue avariée.
Je ne sais plus trop ce qui s’est passé ensuite. Le type me racontait sa vie et je souriais en faisant "mmm" de temps en temps. Puis au détour d’une phrase, comme ça, sans crier gare, il s’est mis à parler Français. Mais pas n’importe quel Français. Un Français excellent, le type était parfaitement bilingue. Seul un léger accent so british, à peine perceptible, pouvait trahir ces origines.
What's that fucking foutage de gueule ?! Me suis-je dit tout de go.
Il n’y avait pas d’explication rationnelle. Ce type aurait pu passer au Français dès la 2ème phrase. Il s’était sûrement rendu compte que j’étais en train de me liquéfier et que chaque mot anglais arraché à une conscience quasi comateuse était pour moi un supplice inqualifiable. Ce type était responsable de quelques dizaines de nouveaux cheveux blancs et de rides à botoxer immédiatement. Ca s’appelle de la maltraitance, ça, monsieur. De la torture mentale, de l’ignominie !
Aucun souvenir de la conversation en Français. J’étais trop occupée à lui en vouloir à mort. Puis ce fût sa station.
- Bye ! Me lança t’il avec un grand sourire et un signe de la main.
Ouais, c’est ça, bye…
Je vais aller jeter mon sac infâme dans la première poubelle venue. Fini les Crazy Rabbits. Du noir, du noir et encore du noir. La ninja attitude est un art de vie.
Je sors du RER.
-   Excuse-me, please ? Me dit une vieille anglaise.
-   Noooooooooooo ! Let me go ! Let me go !!!

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