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Révélations au Réveillon

Publié le 11 mars 2008 par Laurent Matignon

Petit laid


Chapitre 33
Nous sommes accueillis chaleureusement, comme je m’y attendais. Mais cette fois-ci, Patricia me fait la bise, non sans m’avoir préalablement demandé si ça me gênait. Amusant. Mais je ne pense pas réellement à rire de la situation lorsqu’elle m’embrasse sur la joue, tout à fait innocemment bien entendu : le fait est qu’elle porte cette fois-ci un haut beaucoup moins sage que deux semaines auparavant, ce qui ne manque pas de déclencher une réaction immédiate dans mon caleçon. Le père se contente d’une poignée de main que j’ai voulue virile mais distante.
Il n’est pas dans mon intérêt de fraterniser avec ce gros porc. Si je veux Patricia, il me faudra immanquablement créer la discorde au sein du couple.
Un point très positif, nous ne serons que tous les quatre pour ce Réveillon. Pas de grand-mamie sourde et incontinente, pas trace non plus d’un demi-frère casse burnes ni d’un cousin spécialement revenu des Indes, le charriot rempli d’or. Toute l’attention va se porter sur moi.
Il ne me reste qu’à être bon.
Nous sommes arrivés comme il se doit un soupçon en avance mais pas trop. C’est la même chose qu’en cuisine, tout est question de dosage. Comme en amour, du reste. Patricia, par exemple, arbore un petit haut qui la met totalement en valeur mais qui n’a rien de fondamentalement aguichant. Juste suggérer : j’ai affaire à une femme nuancée, complexe, féminine en somme.

Je m’arrange pour laisser Carine et sa maman pendant un long moment seules dans la cuisine, où elles ne manquent sans doute pas de parler de moi. J’ai le sentiment que Carine omettra les quelques points un peu noirs de ma personnalité pour ne retenir que les deux dernières semaines qui viennent de s’écouler.

Cette stratégie impose bien entendu un sacrifice : la conversation avec Jean. Ma foi, autant en profiter pour en apprendre un peu plus sur Patricia, et ce bien entendu sans en avoir l’air. J’apprends assez facilement qu’ils se sont connus lorsque lui approchait la trentaine – elle venait tout juste de dépasser vingt ans – et qu’il a aujourd’hui 53 ans. J’apprends également qu’ils se sont mariés très vite, et il m’avoue d’un air lubrique avoir voulu précipiter les choses afin de ne pas laisser s’envoler un si bel oiseau. Au ton de sa voix je devine qu’il n’a pas songé une seconde à tromper sa femme, d’une part parce qu’elle semble être une véritable déesse de l’Amour, et d’autre part parce que quand bien même aurait-il essayé, nulle autre créature d’une telle beauté n’aurait voulu de lui.

Il est fort convaincant sur ce point.

J’apprends enfin que Carine est bien leur unique enfant mais, plus intéressant, il m’avoue que Patricia a toujours souhaité avoir un garçon. Et sur ces entrefaites il me confie avoir ressenti l’autre jour que je représente un peu pour Patricia le fils qu’elle n’a jamais eu, et ce malgré le fait que je suis de toute évidence plus âgé que Carine. Il a prononcé ces derniers mots en me regardant d’un air interrogateur, il souhaite connaître mon âge, mais je me garde bien de lui dire qu’il a vu juste et que je ne pourrais en aucune façon être le fils de Patricia !

C’est à ce moment que nos deux compagnes surgissent simultanément de la cuisine, précédées de deux grands plateaux d’amuse-gueules. Patricia marche en tête, et je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’elle a pu saisir des bribes de notre conversation. Quoiqu’il en soit, je me dois de rapidement sortir de ce rôle de « fils tombé du ciel » qui semble m’être assigné soudainement. Je ne pratique pas l’inceste. Ou du moins je n’en ai encore jamais eu l’occasion.

Le repas est succulent, lumineux, plein de rires et de vie. Tout comme Patricia, que je trouve de plus en plus désirable. Je me surprends à prononcer quelques paroles dans le seul but d’entendre son rire, si chaud, profond, terriblement charnel. Carine me regarde, les yeux embués par l’alcool, et ris peu à mes boutades, tout étonnée qu’elle est de me voir si présent, si sociable, en ce soir de Noël.

Le dîner touche à sa fin et, l’alcool aidant, une atmosphère très intimiste s’est instaurée entre nous. J’avoue avoir trouvé Jean sympathique et pire même, intéressant, l’espace de longues minutes, ceci sans aucun doute à cause du champagne et de ses bulles magiques.

Jean se lève de table et va s’asseoir dans son canapé, la pipe au bec. J’aide un peu Carine à débarrasser la table : je dois montrer que je suis un homme moderne et prévenant, mais en faire trop risquerait de briser la virilité de mon image. Patricia fait remarquer une nouvelle fois à sa fille – je ne les compte plus – qu’elle a bien de la chance d’avoir trouvé un homme comme moi. Lorsque tout est fini, Carine s’absente et part rejoindre son père dans le salon, me laissant seul avec Patricia.
C’est la première fois que je me retrouve en tête-à-tête avec elle et l’occasion est si inattendue que l’espace d’un instant je suis pris de court et ne dis pas mot.
C’est elle qui brise le silence et me demande dans un majestueux sourire si je me plais dans la région et si le soleil et le mer de mon sud natal ne me manquent pas. Un peu gêné, je prends mon air le plus naturel pour lui sortir mes plus beaux mensonges : on s’habitue à la pluie et au froid, Lille est une ville très agréable et très vivante et, surtout, les gens du Nord sont... comment dit-on déjà... chaleureux. Elle me regarde droit dans les yeux – mon Dieu quel regard ! – et me met à l’aise. Je n’ai pas à mentir, elle a pleinement conscience de ce que je peux ressentir. Elle a toujours voulu quitter le Nord, mais Jean n’a jamais voulu, à cause de son travail essentiellement, et même maintenant qu’il est à la retraite, il ne veut rien entendre.

Je ne sais pas ce qui me prend à ce moment précis, mais je lui déclare tout de go que j’ai très envie de lui faire connaître ma région et de lui servir de guide. Elle me sourit d’un air amusé, en me disant qu’elle s’y rend dès qu’elle le peut sous les prétextes les plus divers (famille, vacances, cures de remise en forme(s)... un comble), et surtout que si je dois faire visiter le Sud à une personne de la gent féminine, c’est de sa fille qu’il s’agit !

A ces mots je deviens écarlate mais elle ne le relève pas et m’avoue être touchée par ce que je viens de lui offrir. Elle m’assure que si je ne vivais pas avec sa fille elle aurait sérieusement étudié ma proposition. Puis elle se retourne face à l’évier, se plonge dans sa vaisselle et m’invite à rejoindre Carine au salon.

Je suis profondément troublé mais Carine ne semble se rendre compte de rien.
Elle est heureuse, épanouie. Presque belle.
La soirée se poursuit sur un ton jovial et bon enfant, je retrouve peu à peu mes esprits et lorsque Patricia nous rejoint enfin je ne ressemble plus qu’à ce que je n’ai jamais cessé d’être, un homme venu passer Noël chez les parents de sa compagne.

Trois heures du matin : épuisée, Patricia décide de se retirer, et Jean lui emboîte naturellement le pas. Carine m’enlace et me traîne vers notre lit.

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