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21 mars 1775 | Naissance de Lucien Bonaparte

Publié le 21 mars 2012 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

   Le 21 mars 1775 naît à Ajaccio Lucien Bonaparte, troisième fils de Charles-Marie Bonaparte et de Marie-Létizia Ramolino.
Portrait de lucien-bonaparte par francois-xavier-fabre-
Francois-Xavier Fabre (1766-1837)
Portrait de Lucien Bonaparte, 1808
Huile sur toile
Montpellier, Musée Fabre


   Dans ses Chroniques littéraires, Marie-Jean Vinciguerra consacre deux très belles pages au « Prince de Canino ». En voici un extrait :

LUCIEN LE MAGNIFIQUE

  [...] Peut-être le plus corse des Bonaparte : tour à tour secrétaire de Pascal Paoli, clubiste, jacobin, artisan génial du coup d’État de Brumaire, ambassadeur à Madrid, « Prince romain », mécène, collectionneur, archéologue, homme de lettres…

  La duchesse d’Abrantès – qui était d’origine corse – a tracé, dans ses Mémoires, un vif portrait de Lucien : « Il était grand, mal fait, ayant des jambes et des bras comme des pattes de faucheux (araignée), une petite tête… Lucien avait la vue très basse, ce qui lui faisait cligner les yeux et baisser la tête. Ce défaut lui a ainsi donné un air peu agréable si son sourire, toujours d’accord avec son regard, n’avait donné quelque chose de gracieux à sa physionomie. Quant à son esprit et à son talent, Lucien en a toujours eu beaucoup et de nature diverse. Il était Grec avec Démosthène, Romain avec Cicéron, il épousait toutes les gloires antiques, mais il était ivre des nôtres. »

  Lucien fut un être de sensibilité et de raison. Mais la passion chez lui l’emportait. D’abord la passion politique et, enfin, la passion amoureuse, puisque celle-ci prit le pas sur l’ambition politique.

  Le peintre F.X. Fabre nous a laissé de Lucien un beau portrait romantique : dans une attitude méditative, le prince tient avec élégance l’un de ses livres préférés, La Gerusalemme liberata du Tasse. Le regard “intérieur” semble pourtant fixer un objet auquel on a peut-être déjà renoncé. Passe sur la bouche fine comme une nuance d’amertume.

  Lucien ne fut-il pas cet ambitieux qui aurait trahi successivement la Révolution corse (Pascal Paoli dont il fut le jeune secrétaire et le confident, après l’avoir appelé affectueusement « mon petit Tacite », lui donnera du « coquin », la Révolution française, le directoire, l’Empire, son propre frère et enfin le Pape (« Vous m’avez trompé ! » se serait écrié Pie VII). Le « transformisme » de Lucien amusait Metternich.

  Certes, Lucien eut le goût des conspirations. Sa rhétorique passionnée et pompeuse dissimulait des desseins souvent peu avouables. Il fut aussi ce diplomate qui, avec son complice Godoy, négocia la Paix de Badajoz, transformant sa mission en « escroquerie », son ambassade à Madrid en une « bonne affaire ».

  Et pourtant son comportement n’est pas aussi simple, il reste même souvent énigmatique. Pour tenter de le comprendre, il faut non seulement replacer Lucien dans le contexte de son époque, mais mieux en percevoir le caractère profondément corse.

  Lucien se refusa à reconnaître en son frère cadet le chef de famille. Le « clan » Bonaparte fut déchiré par cette contradiction. Napoléon pouvait bien être le chef de l’Etat, mais il n’était pas le chef de famille, au moins pour Lucien. L’Empereur, lui, affirmait dans une lettre à sa mère que « sa famille était d’abord une famille politique » et que chaque membre devait donc se conformer aux décisions de son chef politique, en l’occurrence lui-même. Il ne fut pas pour autant toujours évident, même pour « Madame Mère » que ce privilège dût entraîner des prérogatives de « chef de clan ». D’où l’âpreté de la « guerre de succession » à l’intérieur de la tribu Bonaparte. Il ne semble pas du tout exclu que Lucien, sous le couvert des idées démocratiques et de la défense de la légalité républicaine, n’ait cherché, paradoxalement, en rompant avec son auguste frère et en choisissant l’exil, le meilleur moyen de lui succéder un jour […].

Marie-Jean Vinciguerra, Chroniques littéraires, La Corse à la croisée des XIXe et XXe siècles, Éditions Alain Piazzola, 2010, pp. 51-52.



■ Marie-Jean Vinciguerra
sur Terres de femmes

Marie-Jean Vinciguerra, Chroniques littéraires (lecture d’AP)
→ 12 janvier 1976 | Mort d’Agatha Christie (un autre extrait des Chroniques littéraires de Marie-Jean Vinciguerra)
Bastion sous le vent (lecture d’AP)




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