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Max | Antonio Tabucchi (2)

Publié le 27 mars 2012 par Aragon

télérama logo.pngAntonio Tabucchi, écrivain universellement européen

Hommage : L'écrivain italien, traducteur de Fernando Pessoa, est décédé le 25 mars à Lisbonne. Il était ces dernières années, le porte-parole des anti-Berlusconi.

Le 26/03/2012 à 00h00 - Mis à jour le 26/03/2012 à 10h19
Gilles Heuré

Max | Antonio Tabucchi (2)

Antonio Tabucchi à Rome. Photo : Riccardo De Luca/MAXPPP.

« Je rentre à la maison, je ferme la fenêtre.
On apporte la lampe, on me souhaite bonne nuit,
Et d’une voix contente je réponds bonne nuit. »


On pourrait donc saluer la disparition d’Antonio Tabucchi par ces vers du poète portugais Fernando Pessoa, ce fantôme qui ne cesse d’errer dans les rues de Lisbonne et qui fut presque compagnon de rêverie de Tabucchi. Né en 1943 à Pise, Tabucchi était-il italien, portugais, français ou universellement européen, par les langues qu’il pratiquait et les voyages qu’il effectuait ? L’anecdote raconte qu’arrivé tout jeune à Paris, il tomba sur un livre de Pessoa et qu’il le traduisit, inaugurant ainsi une complicité littéraire qui ne cessa jamais. C’est que l’errance pour ce formidable écrivain n’était pas une simple absence ni le refus de s’attacher aux choses de la vie. Avec Place d’Italie, son premier roman (1975), comme avec ceux qui suivirent et lui conférèrent une place de premier plan parmi les écrivains, Antonio Tabucchi forgea peu à peu une œuvre singulière dans laquelle tous peuvent se reconnaître.

Nocturne indien (1984), prix Médicis et dont l’adaptation cinématographique par Alain Corneau contribua à le faire connaître encore un peu plus, Requiem (1992) ou Pereira prétend (1994) sont des livres où les personnages se cherchent, hésitant parfois entre la lente reddition et l’audace de changer sa vie, mais optant finalement pour le courage, ce sentiment qui naît d’un irréductible dégoût pour l’injustice et toutes les formes de dictature. Tabucchi disait qu’un ancêtre portugais qu’il ne connaissait pas devait être inscrit dans son patrimoine génétique, suggérant que son amour du Portugal ne devait sans doute pas tout à Pessoa. Dans Requiem, ce magnifique texte où le narrateur, lisant adossé à un olivier de l’Alentejo, cette région du sud du Portugal pauvre et écrasée par le soleil, a des hallucinations, voyant surgir des fantômes qui se mêlent aux vivants, Tabucchi semblait offrir son écriture à tous ceux dont on ne parle jamais mais qui font que la vie doit être une constante découverte. Des rencontres qui ne sont pas anodines : dans Pereira prétend, le journaliste jusque-là rangé prend conscience de la nature du régime salazariste et devient opposant, résolu à ne plus abdiquer. Dans le film de Roberto Faenza qui fut tiré de ce livre, Marcello Mastroianni interpréta magistralement Pereira, journaliste longtemps désabusé et comme en sursis puis redevenu homme libre. L’action se passait en 1938, mais le livre parut juste au moment où Berlusconi fonda le parti politique Forza Italia. Dans son édition numérique de dimanche, la Repubblica rappelle d’ailleurs le rôle politique de Tabucchi, porte-parole des anti-Berlusconi et infatigable dénonciateur, par ses prises de positions et ses chroniques, d’un type de régime qui tuait la culture et pouvait mener au pire. Les fantômes toujours : ceux des dictatures passées et ceux des hommes qui y résistent. Italien, Portugais, Français ou universellement Européen ? Antonio Tabucchi prétendra toujours que les livres peuvent éveiller les consciences.


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