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Un anglais à Giverny

Publié le 02 avril 2012 par Memoiredeurope @echternach

La Fondation ClaudeMonet vient de rouvrir ce premier avril après un hiver silencieux. Cela vafaire presqu’une année que la nomination d’un nouveau jardinier est effective.Gilbert Vahé qui a repris en 1976 un espace abandonné depuis cinquante ans, alaissé en juin dernier la place à James Priest, mais continuera cependant à l’accompagner.Première succession historique de celui qui avait suivi une restauration quibénéficiait de nombreux documents et de nombreux témoignages et avait consacré desannées de soins attentifs pour des jardins emblématiques. Comment pourrait-il en effet transmettre ses connaissances en quelques semaines ? C’est doncseulement maintenant avec les floraisons, que les premières interventions vontse voir et que le nouveau maître des végétaux qui a fait ses preuves enAngleterre, comme en France, commence à travailler sur la stratigraphie deslieux et sur l’émotion qu’ils suscitent : Monet would paint in layers and Ithink he made his garden in the same way” dit-il en ajoutant I likeart with emotion. I work alot on emotions; my gardens must speak to people of all nationalities.”
Un anglais à Giverny
Ces jardinscomportent non seulement un intérêt par leur caractère exceptionnel, enrelation avec le peintre Claude Monet qui en a été en quelque sorte le premierjardinier, mais parce que chacun s’attend à y trouver, sinon Monet en train d’ypeindre, du moins un prolongement du peintre, son fantôme ou plutôt une auraqui doit permettre de traverser le mur du temps. On y cherche bien ce que Jean-PierreLe Dantec nomme la « Poétique des jardins », en ouvrant son livre par lanotion de « microcosme » et en citant Michel Foucault : «Le jardin, c’est la plus petite parcelle dumonde et puis c’est la totalité du monde. Le jardin, c’est, depuis le fond de l’Antiquité,une sorte d’hétérotopie heureuse et universaliste.»
Jardins secretsitaliens, aux plantes venant directement de l’Eden, jardins univers ethumanistes, jardins symboles du pouvoir central, jardins de collectionneurs,jardin planétaire, jardins représentés et dont la jouissance vient de la canalisationde leur perception au travers d’un cadre, comme une peinture.
Monet s’est certes installéau sein d’un microcosme, mais il aime surtout à représenter des lieux pour laraison qu’ils se construisent de manière infiniment changeante en déconstruisantla lumière qui les touche. A Giverny, il dispose du lieu favorable à cette approchede la représentation. Ce jardin revêt pour lui un caractère particulier,au-dessus de tous les autres lieux où le soleil se lève, se couche, diffracte,rayonne, éblouit, tous ces lieux où il faut regarder le soleil en face, puisson reflet, dans l’ombre colorée des arbres et des êtres, puis revenir encore vers lui, à y perdre leregard. Il l'aime au-dessus de tout parce qu’il y vécut quarante-trois ans, jusqu’à l’épuisement,jusqu’à la disparition progressive de la vue et qu’il l’a créé en forme dedésir. A Gaston Bernheim-Jeune il ne sait qu'écrire : «Ceque je deviens, vous le devinez bien : je travaille et non sans difficulté, carma vue s’en va chaque jour, et puis je m’occupe énormément de mon jardin : celam’est une joie, et, par les beaux jours que nous avons eu, je jubile et admirela nature : avec cela, on n’a pas le temps de s’ennuyer».
Un anglais à Giverny
Photographie Archives Fondation Claude Monet
Et dans la phosphorescentefièvre des mots, Marcel Proust imagine son propre regard, s’il devait sesubstituer à celui du peintre : «Sije puis voir un jour le jardin de Claude Monet, je sens bien que j’y verrai,dans un jardin de tons et de couleurs plus encore que de fleurs, un jardin quidoit être moins l’ancien jardin-fleuriste qu’un jardin coloriste, si l’on peutdire, des fleurs disposés en un ensemble qui n’est pas tout à fait celui de lanature, puisqu’elles ont été semées de façon que ne fleurissent en même tempsque celles dont les nuances s’assortissent, s’harmonisent à l’infini en uneétendue bleue ou rosée, et que cette intention de peintre puissammentmanifestée a dématérialisée, en quelque sorte, de tout ce qui n’est pas lacouleur.»
Ainsi donc noussommes très vite portés au-delà des formes et des couleurs d’une palette botaniquequi se construit pour passer le temps, mais aussi au-delà des mots qui cherchentà traduire une dématérialisation imaginée.
Mais où alors ? Dans l’abstractionsensible ? Denis Rouart donne une piste : «Basée non plus sur l’intellect, mais sur le sensible, elle veut être l’expressionplastique de pulsions intérieures obéissant aux forces de l’instinct qui nesont ni contrôlées, ni expliquées par la raison »
Collot (Michel). La pensée-paysage. Actes Sud / ENSP, 2011.
Foucault (Michel). Dits et écrits. Textes rassemblés par Daniel Defert etFrançois Ewald. Gallimard, 2004.
Le Dantec (Jean-Pierre). Poétique des jardins. Actes Sud, 2011.
Rouart (Denis). Monet. Skira, 1958.
On peut lire unelongue interview commentée de James Priest sur le site de ÆQAI, un e-journal deréflexion critique sur les arts visuels contemporains fondé à Cincinnati. Un extrait :“So how do you decide to plant this alléewhen there are so many versions? You have to plant as he saw it, clearly; butyou can put touches of these later fiery colors, the deep oranges and purples.That’s going to be the fun – the subtle things. How can you give just areminder of these colors? I think the garden lends itself to these touches ofcraziness, so those who know all of his work can see them in the garden; thosewho have a particular image in their minds can recognize the garden as it has alwaysbeen.”

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