Magazine Humeur

Pourquoi la première fois où j'ai vu pleurer mon père ?

Publié le 09 mai 2012 par Rsada @SolidShell

francois_hollande_père_bonnet_phrygien.jpg

Il y a des moments de vie que personne n'oublie. De fugaces instants de bonheur ou de malheur. Des scènes qui reviennent hanter votre mémoire comme par un effet de boomerang. Des dates improbables venues troubler votre vie.

Comme beaucoup, je me souviens avec précision, de l'endroit et des circonstances de mon premier baiser, de mon premier amour, lorsque j'ai eu mon bac, lors de la mort de la Princesse Diana, lorsque j'ai dit adieu à des proches ou que Jean-Marie Le Pen accède au deuxième tour de la présidentielle maudite de 2002.

Si comme pour conjurer le sort, j'essaye de chasser les souvenirs les plus douloureux pour me consacrer aux plus heureux, une date reste étrangement gravée dans ma mémoire. C'était au soir du dimanche 7 mai 1995, le jour où pour la première fois j'ai vu pleurer mon père.

Cette date, à nulle autre pareille, n'échappera pas aux passionnés et aux autres inconditionnels de notre vie politique. Ce jour là à 20H précises, Jacques Chirac est devenu le 22ème président de la République et le 5ème de la Vème République.

Par quel étrange concours de circonstance un tel événement, somme toute purement démocratique et aussi anodin, aurais-t-il pu venir ébranler la solidité émotionnelle d'un homme rompu au combat idéologique et à l'éternelle lutte des classes ?

Justement, l'élection de Jacques Chirac sonnait comme un échec de ce même combat et de cette même lutte, l'échec d'une période vécue et brisée, l'échec d'un Peuple qui avait porté 14 ans auparavant un François Mitterrand au pouvoir et demeurant à ce jour, le seul président de la République de gauche de cette Vème République.

Je me souviens de cet instant tragique où, dans la salle à manger familiale du 2 allée des cerisiers, nous avions tous le regard tourné vers cette télévision où s'est affiché le visage du grand Jacques. Je me souviens alors de mon père, assis dans le canapé, retomber lourdement sur lui-même en baissant la tête de celui qui est vaincu par K-O.

Je me souviens l'avoir vu se relever lentement et se diriger vers la cuisine voisine pour venir observer par la fenêtre le temps béni qui venait de s'achever. Sans me soucier du drame personnel qui se jouait à côté, je décide d'y rejoindre mon père pour relever ses premières réactions.

Je m'approche de lui d'un pas discret et, me sentant approcher, observe sa main tentant vainement de camoufler les larmes qui alourdissaient sa joue. Tellement surpris puis inquiet, je lui demande simplement : « Mais papa, pourquoi tu pleures ? ». Mon père se sachant démasqué me lâche un laconique : « Tu sais mon fils, on (les ouvriers) a mis plus de 20 ans à les foutre à la porte (la droite) et maintenant, ils reviennent au galop ! ».

Certains souriront à l'évocation de ce souvenir. Pourtant, lorsque ce dimanche 6 mai 2012 à 20H, le visage de François Hollande s'est imposé sur tous les écrans de télévision nous apprenant qu'il venait d'être élu à la présidence de la République, ce moment du passé, cet instant de pudeur partagée avec mon père il y a quelques années, m'est revenu en tête. Non, je n'ai jamais oublié la première fois où j'ai vu pleurer mon père !

17 ans ont passé et les temps ont bien changé. La présidence de Nicolas Sarkozy s'achève sur un tel constat d'amertume, qu'elle nous a fait regretter celle de Jacques Chirac devenu notre regretté Cheguevara !

C'est vrai que pour toi papa, cette gauche qui redécouvre l'ivresse d'une victoire si longtemps attendue, ce n'est pas vraiment la gauche de tes espérances passées. Mais papa, cette gauche là, aussi imparfaite soit-elle, ce n'est pas la droite !

1981_francois_mitterrand_2012_francois_hollande.jpg

De la même manière que je n'ai jamais oublié le 7 mai 1995, je n'oublierais pas ce 6 mai 2012 où je sais qu'à quelques 550 km de distance, au même moment où je me suis laissé envahir par la joie, mon père a sans doute laisser parler la sienne. Cette fois-ci, 17 ans après, les larmes que nous avons versé sont celles d'un bonheur retrouvé.

A la manière de George Meredith : « La lutte donne au triomphe la saveur de la passion, et la victoire embellit la conquête ».


Retour à La Une de Logo Paperblog