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le "Sub tuum" : la prière antique à la "Theotokos", la Mère de Dieu

Publié le 22 mai 2012 par Hermas

Edgar LOBEL, expert en papyrologie de l’Université d’Oxford, a consacré sa vie à l’étude des papyrus rencontrés en Egypte. Comme on sait, le climat extrêmement sec de la majeure partie de l’Egypte a facilité la conservation d’une multitude de fragments de papyrus très anciens, contenant des textes millénaires, en grec et en copte. Nombre de ces textes ont été perdus. En revanche, pour d’autres, qui ont été conservés grâce à des copies ou des traductions successives, les papyrus servent à en confirmer l’antiquité.

L’un de ces papyrus, découvert à proximité de l’ancienne cité égyptienne d’Oxirrinco, contenait une prière à la Vierge. Et non pas n’importe quelle prière : une prière que nous continuons de prier de nos jours, celle du “Sub tuum praesidium”.

La version latine est la suivante :

« Sub tuum praesidium confugimus, sancta Dei Genitrix. Nostras deprecationes ne despicias in necessitatibus, sed a periculis cunctis libera nos semper, Virgo gloriosa et benedicta”.

La version française est la suivante :

« Nous nous réfugions sous ta protection, sainte Mère de Dieu. Ne méprises pas nos prières dans les nécessités, mais délivre-nous toujours de tous les dangers, Vierge glorieuse et bénie ».

Dans la version grecque classique, qui est celle, précisément, du papyrus, on en trouve les termes originaux :

π τν σν εσπλαγχνίαν,
καταφεύγομεν, Θεοτόκε.
Τς μν κεσίας,
μ παρίδς ν περιστάσει,
λλ κ κινδύνων λύτρωσαι μς,
μόνη γνή, μόνη ελογημένη.

   

Il convient de souligner la présence du terme “Theotokos” [plus exactement, en l’occurrence : “Theotoke”, au vocatif], c’est-à-dire “Mère de Dieu”. Deux siècles plus tard, au Concile d’Ephèse, il sera reconnu solennellement, contre Nestorius, que ce titre convenait adéquatement à la Vierge Marie. Ainsi, à Ephèse, la Tradition de l’Eglise fut défendue contre ceux qui préféraient leurs propres opinions à ses enseignements.

Il est impressionnant, dès lors, de réciter cette prière, sachant que les chrétiens la récitaient déjà depuis, au moins, l’an 250 de notre ère, date assignée par Edgar LOBEL au papyrus sur lequel elle est écrite. En ce qui nous concerne, nous ne l’avons pas reçue des archéologues, mais de la Tradition de l’Eglise, à travers le latin, pour l’Eglise latine, ou le grec et le slavon ancien, pour l’Orient. Il est agréable, néanmoins, que l’archéologie nous montre une fois de plus que la Tradition n’est pas quelque chose d’inventé, mais qu’elle nous transmet véritablement l’héritage que les premiers chrétiens reçurent eux-mêmes du Christ et de ses Apôtres.

La prière du “Sub tuum praesidium” est un témoignage émouvant, probablement le plus ancien et le plus important qui soit relatif à la dévotion à la Sainte Vierge. Il s’agit d’un tropaire [hymne byzantin], parvenu jusqu’à nous plein de jeunesse. C’est peut-être le texte le plus ancien où la Vierge soit appelée “Theotokos”, et c’est incontestablement la première fois que ce terme apparaît dans le contexte d’une prière et d’une invocation.

G. Giamberardini, spécialiste du christianisme primitif égyptien, a montré la présence du “tropaire” dans les rites les plus différents et dans toutes ses variantes, y compris dans la liturgie latine. L’universalité de cette antienne suggère que, déjà au milieu du IIIème siècle, il était d’usage d’invoquer la Sainte Vierge comme “Thetokos”, et que les théologiens, comme Origène, commencèrent à prêter attention à ce vocable en raison, précisément, de l’importance qu’il prenait dans la piété populaire. Cette invocation pourrait avoir été simultanément introduite dans la liturgie.

Dans le rite romain, la présence de cette prière est attestée, déjà, dans le Liber Responsalis, attribué à saint Grégoire le Grand. On la trouve copiée au IXème siècle sous la forme suivante : « Sub tuum praesidium confugimus, sancta Dei Genitrix ». Quelques manuscrits des Xème et XIème siècles en présentent de délicieuses variantes, tout en maintenant intacte la même expression « sancta Dei Genitrix », strictement fidèle au “Theotokos” du texte grec.

Il s’agit de traductions très fidèles de ce texte, tel qu’il apparait dans le rite byzantin, où l’on utilise le mot grec “eysplagknían”, pour désigner les entrailles miséricordieuses de la Mère de Dieu. Cette considération de l’immense capacité des entrailles maternelles de Dieu est le fondement de la piété populaire, qui donna tant d’importance au titre de “Theotokos” pour désigner la Mère de Jésus. Le plus important est que le témoignage du “Sub tuum” permet de penser que le titre de “Theotokos” est né de la piété populaire, dès (au moins) la moitié du IIIème siècle, pour invoquer les entrailles maternelles de Celle qui a porté Dieu en son sein. En cela la piété populaire aurait cette fois précédé la théologie. Il est vraisemblable, pour le moins, qu’il en ait été ainsi.

Les fidèles, qui récitent humblement cette prière à la “Sancta Dei Genitrix”, la “Theotokos”, la Mère de Dieu, parce qu’ils l’ont reçue des mains de l’Eglise, sont ainsi proches de ce que transmirent les premiers chrétiens et, par eux, du Christ lui-même.

La version latine de cette prière a été spécialement immortalisée, en musique, par Antonio SALIERI et Wolfang Amadeus MOZART.

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Sources


Lucas F. Mateo-Seco,  La devoción mariana en la primitiva Iglesia
Bruno Moreno Ramos, InfoCatólica
G. Giamberardini, Il "Sub tuum praesidium" e il titolo Theotokos nella tradizione egiziana, in "Marianum" 31 (1969) 350-351
A.M. Malo, La plus ancienne prière à Notre-Dame, in De primordis cultus mariani, cit., t. 2, 475-485.


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