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Chronique d’un bâtonnet poulet-tajine

Publié le 12 juin 2012 par Plugingeneration @Plug_Generation


Chronique d’un bâtonnet poulet-tajine
La fête des mères est comme chaque année l’occasion pour les marques de déverser leur lot de mièvrerie. Le week-end dernier, des dizaines de slogans dégoulinants de bons sentiments ont pullulé. Certains à la logique implacable ("Je t’aime Maman donc achète-moi des bâtonnets Picard poulet-tajine surgelés") ou d’autres franchement misogynes comme Géant Casino. L’enseigne a eu la bonne idée d’allier fête des « mamans » et promo sur les détergents en tout genre. Mais bon passons, mon propos n’est pas ici d’écrire une énième critique de la fête des mères comme fête purement commerciale. Ce qui m’a interpellée, ce sont ces bâtonnets Picard poulet-tajine, tomate-basilic ou chèvre-betterave, en forme de fleur, faits avec du pain mauve ou vert « coloré par du maïs violet ou des épinards » (Wait what?).Les dits bâtonnets et la marque Picard sont emblématiques de deux phénomènes culinaires. « Demain, nous mangerons des signes » prédisait  le sémiologue JJ Boutaud. C’est là le principe même de Picard. Dans le secteur du surgelé, le consommateur avance en partie privé de ses sens. Dans un premier temps, seule la vue est facteur d’achat. Chez Picard, le mangeur choisit une image, une formulation qui le fait « saliver ». Il est loin le bon temps où l’on tâtait et sentait les fruits sur les étals des marchés (cliché quand tu nous tiens). Les points de vente Picard suivent une tendance : la glaciation de l’espace culinaire. Les magasins, les produits et la communication répondent à l’impératif d’aseptisation. Tout est blanc, calibré, fonctionnel. Les aliments sont stérilisés, normés, sous vide. La congélation des aliments est survalorisée dans une société qui a vécue des épidémies alimentaires (bien que l’on puisse nuancer cet argument avec un autre mouvement de fond qui est celui du bio, du retour à « l’authentique » et au terroir.) La glaciation des pratiques alimentaires va plus loin. On assiste de plus en plus à une muséification du patrimoine culinaire avec la mise en recette systématique. Les médias participent également à la théâtralisation des signes et des gestes culinaires quittent à créer une doxa alimentaire contraignante.Finalement, le « danger » des plats tout prêts est la perte de ce qui fonde le goût. La mise en place d’une doctrine culinaire figée menace la place de l’imagination fondamentale pour le goût. Car comme le dit l’ami Boutaud : « C’est le propre du goût de laisser le sujet s’abandonner à l’image et à l’imaginaire de l’aliment, de laisser cet espace figuratif s’autonomiser, se déployer ».


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