Magazine Journal intime

Un arrêt de bus rouge à pois noirs

Publié le 21 juin 2012 par Anaïs Valente

Arrêt de bus.

Un banc en bois, quasi neuf.

Je m'y installe, chargée comme un baudet d'une boîte glissée par un vendeur dans un sac bien trop petit, que je ne peux dès lors tenir par ses poignées.  Ça m'a donné chaud, de tenter de tenir ce sac.  Alors je m'avachis sur ce banc et j'attends mon bus.

Le soleil est là, malgré l'orage annoncé.  La pluie a cessé de tomber.  Il fait lourd comme des seins siliconés.

Soudain, un insecte se pose.

Je retiens un petit cri, angoissée que je suis encore par une attaque en règle de guêpe subie une demi-heure auparavant.  La vilaine s'est ruée sur mon bout de tartine au gouda et là, distinguant bien ses zébrures caractéristiques, impossibles à confondre avec celles de mes amies les abeilles, je n'ai pu retenir un cri.  Plutôt un gémissement.  D'effroi.  On est phobique ou on ne l'est pas, ma bonne dame.  Je le suis.  Cri d'effroi.  Suivi d'une accélération de la marche, because les zébrées, j'ai pu le constater à de nombreuses reprises, aiment suivre les humains.  Et puis la pluie d'orage les énerve, j'ai également pu le noter. 

Je suis heureusement immédiatement rassérénée en notant la couleur du bestiau : rouge à pois noirs.  Nan, ce n'est pas une chaussette de Dorothée, révisez vos classiques, elles sont rouges et jaunes à petits pois, les siennes.

C'est une coccinelle.

Qui s'est posée sur le trottoir.

La folle.

Suicidaire ?

J'ai envie d'aller la cueillir sur le bout de mon doigt, pour la sauver des passants.  Mais mes paquets m'en empêchent.  Me lever sera un challenge.  Alors, me baisser avec mes trois sacs dont un trop petit, ce serait un exploit.  Et chopper une coccinelle sur le sol une gageure.  Et puis j'ai honte.  Honte qu'on me voie, penchée, en train de réaliser un sauvetage que peu comprendraient.

Alors je me contente de l'observer.  De regarder ses déplacements sur le trottoir.  Ça va vite, une coccinelle, trente centimètres en une ou deux minutes à peine.  Et moi de continuer à la mater.

Et de pousser un cri interne à chaque passage humain, voyant la mort roder.

Cet homme qui tourne autour de l'horaire du bus, aaaaaaargh, il va la spotchiiiiie, ma bête à bon dieu.  Ouf, elle y échappe de peu.

Ces étudiants fêtant la fin des examens, avec leurs pieds si grands (dieu comme la jeunesse est géante), ils vont scrabouiller ma bébête à bonheur.  Elle passe encore entre les mailles du filet.

Ce couple amoureux qui se mate dans le blanc de l'œil, sûr que la dernière heure de ma petite rouge à pois noirs est venue.  Et bien non.

Ces trois hommes qui vont je ne sais où, mais sans doute manger (me dit mon estomac affamé), bon c'est foutu cette fois, six pieds vont la transformer en carpette rouge à pois aplatis.

Et voilà, le sort en est jeté. Je vois un pied se précipiter sur ma bestiole.  Le talon se pose, puis les orteils, et ma choupinette disparaît un instant, pour réapparaitre, totalement immobile.

Paix à son âme.

Je la surveille, espérant encore une parade de sa part, une feinte : jouer la morte pour échapper à la godasse, qu'elle aurait confondue avec un prédateur.

Mais non, elle est morte.

Immobilisée à tout jamais.

Et cette image, ce point rouge sur un trottoir gris, me rappelle ce symbole de La liste de Schindler, cette petite fille habillée de rouge parmi les décors en noir et blanc, mobile jusqu'à ce que la machine hitlérienne la transforme en cadavre immobile.  Emouvant.  Inoubliable.  Dramatique.

J'aurais dû aller la cueillir sur le bout de mon doigt…

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